Lauréat Bourse aux projet 2025 : point d’étape avec Yannick Picard
Publié le 01/10/2025
Ancien militaire de l’armée de l’air devenu journaliste, Yannick Picard est aujourd’hui à l’origine d’un projet singulier : La Caale, un garage associatif dédié à la réinsertion et à la mobilité solidaire. Lauréat de la Bourse aux Projets AXA Passion 2025, il nous raconte comment son parcours l’a conduit à imaginer une alternative concrète aux poursuites judiciaires pour les jeunes en difficulté.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel et ce qui vous a conduit à imaginer ce projet ?
Pour parler plus largement de mon parcours : je vais avoir 61 ans au mois d’octobre. J’ai eu deux carrières professionnelles. Une première en tant que militaire dans l’armée de l’air, comme motoriste puis enseignant. J’ai été affecté sur deux bases : le centre d’expérimentation aérien militaire de Mont-de-Marsan (40), puis la base école de Rochefort (17). Ça m’a permis de participer à des programmes assez intéressants, notamment la formation de pilotes et de mécaniciens étrangers qui avaient acheté des avions chez Dassault.
J’ai toujours beaucoup écrit, notamment grâce à ce premier métier, et j’ai toujours lu la presse. Mon grand-père lisait La Nouvelle République tous les jours, j’ai dû attraper le virus à ce moment-là. Dès que je suis arrivé à Mont-de-Marsan en 1986, j’ai commencé à lire Sud-Ouest. Et depuis plus de quinze ans, je suis devenu correspondant de presse pour différents titres de la PQR (presse quotidienne régionale), de la PHR (presse hebdomadaire régionale) ou encore pour des revues nationales, dans le sport automobile notamment. Mais le gros de mon travail reste le judiciaire, ce qui explique un peu la naissance du projet.
Depuis plus de dix ans, je passe au moins deux après-midis par semaine dans les salles d’audience du tribunal judiciaire de La Rochelle, pour faire des comptes rendus qui seront diffusés dans différents journaux. Ça m’a amené à tisser des liens assez étroits avec des magistrats, des avocats, ou d’autres acteurs du monde judiciaire, et à apercevoir les conséquences de l’engorgement des tribunaux.
Comment est né le projet La Caale et quelles ont été les premières étapes de sa mise en place ?
Le projet a été lancé en 2019, puis stoppé par le COVID, avant que l’État ne mette en place des plans de relance avec les intercommunalités. Cela a permis à la communauté de communes Aunis Atlantique, et notamment à la ville de Marans (17), de bénéficier de fonds pour continuer à développer ses tiers-lieux (espaces polyvalents favorisant les initiatives locales et la vie sociale).
Je suis allé voir le procureur de l’époque, Laurent Zuckovic, et lui ai exposé mon idée : « Voilà, je travaille sur ce projet, on pourrait peut-être essayer d’y faire participer des jeunes qui ont fait de petites bêtises. Vous leur laissez le choix : soit on engage une procédure pénale, soit vous acceptez d’aller le samedi après-midi au garage associatif collaboratif et d’insertion pour travailler sur des véhicules anciens. C’est plus attirant que des TIG (Travail d’Intérêt Général) et ça peut peut-être leur donner le goût d’un nouveau métier. ». Il m’a dit banco tout de suite et m’a proposé un premier essai d’un an.
L’un des objectifs du projet est de proposer des véhicules à des personnes en situation de précarité. Concrètement, comment cela fonctionne ?
En fait, il y a deux volets. Celui que je pilote plus particulièrement, c’est la réinsertion. Et il y a un deuxième volet, l’aide à la mobilité, sur un territoire rural éloigné de l’emploi.
Les gens sans véhicules ont des difficultés à se rendre là où sont les emplois, souvent sur l’agglomération de La Rochelle. Ce deuxième volet est piloté par mon collègue Wilfrid Grison, qui était à l’origine d’un des premiers garages solidaires au Mans (voir encadré). L’idée est de récupérer, via le parquet de La Rochelle (véhicules saisis par la justice) ou des grandes entreprises qui renouvellent leur flotte, de petites voitures — Twingo, C1, C2 — avec peu d’entretien, qu’on remettrait en état dans le garage associatif par les personnes en réinsertion. Elles seront ensuite proposées aux bénéficiaires sur prescription des centres sociaux, selon plusieurs systèmes : vente à un prix très faible, maximum 3 000 €, location à la journée à moindre coût, ou financement par microcrédit.
On pourra aussi aider des personnes qui ont déjà un véhicule, mais pas les moyens de faire changer leurs plaquettes de frein ou leurs pneus chez un garagiste classique. Sans faire concurrence aux garagistes, il s’agit de petite maintenance, on ne va pas changer un moteur ou une direction.

Comment se déroule l’alternative aux poursuites judiciaires pour les jeunes concernés par le projet ?
Le parcours est simple. Un jeune se fait attraper en train de crever des pneus ou de tordre des rétroviseurs, il passe en garde à vue, puis est présenté au parquet. Là, c’est le parquetier de permanence qui pourra lui proposer notre alternative aux poursuites.
Avez-vous prévu un accompagnement pour les jeunes après leur passage dans le garage ?
Oui, je suis en contact avec le centre de formation des apprentis (CFA) de La Rochelle et la Chambre des métiers et de l’artisanat, pour pouvoir les orienter vers les métiers de l’automobile ou de la moto s’ils le souhaitent.
Pour ceux qui se plaisent dans le garage associatif, on pourra leur proposer des stages de découverte d’une quinzaine de jours.
Où en est le projet aujourd’hui et quelles sont les prochaines étapes ?
Le site où nous sommes actuellement rencontre un aléa de chantier. C’est une friche industrielle, donc pour l’instant le projet est en pause, en attente d’un rapport Veritas. Le projet intéresse tellement la communauté de communes et la mairie de Marans, que ces dernières nous ont proposé une solution de repli avec d’anciens ateliers municipaux.
Pour ce garage transitoire, l’ouverture devrait se faire début 2026. Nous avons même déjà recruté un mécanicien, spécialisé dans la restauration de véhicules anciens.
Qui interviendra dans le garage associatif une fois qu’il sera opérationnel ?
Il y aura le mécanicien dont je vous ai parlé, qui sera à temps plein. Ensuite, on s’appuiera sur des bénévoles, en général des anciens mécanos à la retraite, qui viendront lui donner un coup de main pour l’encadrement des jeunes le samedi après-midi et sur des petits travaux de maintenance.
Comment la Bourse aux Projets AXA Passion va-t-elle concrètement vous aider ?
C’est très clair : la priorité, c’est le matériel, avec notamment l’achat d’un pont pour démarrer l’activité au plus vite.
Aujourd’hui, ce qui pénalise les gens qui ont des voitures anciennes chez eux, c’est de ne pas pouvoir passer sous la voiture. Donc pour nous, c’est véritablement la priorité, et c’est à cela que serviront ces 10 000 €.
Quel est votre rêve ou votre ambition à plus long terme pour La Caale ?
Ce serait que ce projet puisse faire des petits. Ma formule « alternative aux poursuites judiciaires », me tient vraiment à coeur. Plus elle pourra être reproduite, mieux ce sera.
J’ai en mémoire une phrase de l’ancien procureur de La Rochelle, Laurent Zuckovic, quand on discutait du bilan qu’on ferait au bout d’un an : « Si vous n’en sauvez qu’un, ce sera déjà une réussite. ».
Wilfrid Grison est un acteur engagé dans l’insertion sociale par la mobilité. Depuis 2000, il a contribué au développement de Carbur’ Emploi, une association facilitant l’accès à des moyens de transport pour les personnes en recherche d’emploi, notamment via des partenariats avec des structures locales. Il a progressivement pris des responsabilités, devenant Vice- Président en 2015, puis Président en 2019, après la transformation de l’association en Carbur’ Pera. Sous son impulsion, l’association est devenue la Plateforme Mobilité de la Sarthe, en intégrant des volets de sécurité routière et en nouant de nombreux partenariats institutionnels.
Visuels : © Yannick Picard