Les véhicules militaires, un patrimoine préservé
Publié le 29/04/2024• Par Stéphane Cohen
En cette année de 80ᵉ anniversaire, des milliers de passionnés et de nombreux engins datant de la Seconde Guerre Mondiale viendront célébrer le D-Day le 6 juin sur les plages de Normandie. Vous pourrez y rencontrer celles et ceux qui ne ménagent ni leur temps ni leur peine pour entretenir les véhicules et la mémoire de nos libérateurs.
Le 6 juin 1944 au petit matin, des navires apparaissent au loin, des avions larguent leurs bombes, les canons tonnent, des milliers d’hommes se lancent dans un assaut sacrificiel, la surprise est totale : c’est le Jour J. Plus de 150 000 soldats débarquent sur les plages de Normandie dont celle de Vierville-sur-Mer, surnommée Omaha Beach. C’est ici que les alliés ont subi le plus de pertes : près de 3 000 morts en quelques heures. Cette année, ces lieux de pèlerinage vont à nouveau accueillir les familles des militaires américains, canadiens ou anglais, restés à jamais sur le sol français. Ils devraient être encore plus nombreux pour fêter ce 80ᵉ anniversaire du Débarquement.
Des dizaines de bénévoles de toutes générations se retrouvent à l’Univem pour choyer plus de 40 véhicules militaires.
Des bénévoles stockent et restaurent un patrimoine historique
Pour vivre cette journée de recueillement et d’hommage, d’autres viendront de toutes parts, sans distinction d’âge, anonymes et reconnaissants, des petits villages de Normandie tout proches jusqu’aux régions les plus reculées de France. Parmi eux, il y aura les gars de l’Univem, installés dans un campement sur les dunes d’Omaha Beach. L’Univem (Union Nationale des collectionneurs de Véhicules Militaires) est une association basée à Versailles, sur le plateau de Satory, dans l’attente d’un déménagement prévu à l’automne 2024.
Dans de grands hangars prêtés par l’Armée, ils sont une poignée de bénévoles qui racontent l’Histoire à travers les vrais engins du Débarquement. Chaque jour, chacun s’y affaire, répare, astique, repeint, démarre, fait tourner le moulin, dresse l’oreille, concentré, passionné... Le samedi, ça grouille de monde. Ce ne sont pas du tout de grands enfants qui rêvent de jouer à la petite guerre. Leur objectif est de préserver le patrimoine historique constitué des véhicules militaires des derniers conflits, en particulier ceux de la Seconde Guerre mondiale.
Les locaux actuels de l’Univem et leurs pensionnaires
Chars et Jeep : des objets de collection très recherchés
L’Univem est un musée vivant qui ouvre régulièrement ses portes, notamment durant les journées du patrimoine. L’expérience est unique. C’est l’occasion de monter dans un half-track (ou semi-chenillé) : roues à l’avant, chenilles à l’arrière. Ce monstre hybride a débarqué à Utah Beach avec la 2ᵉ Division Blindée du Général Leclerc. Ce « passe-partout » de dix tonnes et 147 chevaux, qui suivait les chars en sa qualité de véhicule d’infanterie mécanisé, effectuait du transport de troupes, équipé d’une mitrailleuse… Devenu un objet de collection, il se négocie aujourd’hui autour de 20 000 euros. C’est presque deux fois moins que le DUCKW 353, un GMC amphibie de l’armée US surnommé la « Baignoire ».
Ce type d’engin faisait la liaison entre les bateaux et la plage pour déposer le matériel. Dix mètres de long, 10 km/h sur l’eau, 70 km/h sur la route : le « Canard », son autre surnom, fut produit à 20 000 unités. L’Univem abrite également un char Sherman, véritable pièce de musée de 34 tonnes, capable d’atteindre les 60 km/h mais aussi de siffler 400 litres aux 100... Celui-ci est bichonné par François, commandant de bord à la retraite sur Boeing 777 chez Air France : Tout fonctionne, y compris la rotation de la tourelle !
Beaucoup plus léger, voici le véhicule star du Débarquement : la Jeep. L’armée française en a récupéré 22 000 après la guerre (sur les 655 000 produites !) et puis elle a fini par fabriquer la sienne, la Jeep Hotchkiss. À ne pas confondre avec celles qui ont réellement participé au D-Day, des véhicules extrêmement rares... et donc extrêmement chers : près de 100 000 euros l’unité. Il y a 80 ans, elles se négociaient au prix de la ferraille : Il y en avait pas mal dans les années 1950. On les utilisait dans les fermes à la place des tracteurs agricoles !
Pourquoi Jeep ? Acronyme de GP (General Purpose), ou surnom hérité du personnage de Popeye, Eugene the Jeep qui se sortait de toute situation ? Ou encore Jeep pour Just Enough Essential Parts (« juste assez de pièces essentielles ») ? Nul ne sait vraiment...
D-Day ou Journées du Patrimoine : le Half-track de l’Univem fait le plein !
L’émotion à chaque carrefour lors des commémorations
Retour à Omaha Beach. Durant les cérémonies officielles, la circulation y sera assurée par des MP en tenue d’époque ! D’un côté la plage et ces gens qui se promènent en mangeant des glaces, de l’autre des falaises vertes et tranquilles parsemées de jolies petites maisons. 80 ans plus tôt, il n’y avait rien d’autre que des bunkers d’un côté, des milliers de bateaux de l’autre et l’enfer au milieu. Impression glaçante...
Dans quelques jours, des vieux camions militaires remonteront le remblai pendant que tous les passants salueront leur passage dans une improbable rencontre des temps. Tous les 20 ou 30 mètres, un pylône d’éclairage supportera le portrait d’un ancien combattant. Ici un officier britannique disparu il y a peu mais toujours dans le coeur de ceux qu’il sauva (« C’était notre papi ! »). Là, un bel Américain de la Côte Est (« Il est venu au mariage de notre fille ! »).
Un GMC DUCK, véhicule amphibie qui faisait le lien entre les navires et la côte.
Partout la même émotion : à chaque carrefour, dans chaque regard, dans cette foule reconnaissante qui viendra voir passer les engins et les hommes... Installé sur le siège passager, comme si vous étiez un général conduit par son aide de camp, vous vous enfoncerez dans la campagne, le vert remplacera le bleu, les routes seront merveilleuses, inchangées ou presque, bien que goudronnées désormais. Votre imagination fera le reste... Après le Débarquement, il y eut la bataille des Haies : plus d’un mois de combats acharnés pour traverser le bocage normand mètre par mètre. Comme le dira votre chauffeur avec une pointe d’émotion : Ils se battaient parfois à un contre trois derrière ces talus, au corps à corps. C’était démoniaque...
Vous arriverez à la pointe du Hoc, à la rencontre d’une interminable colonne de blindés arrêtée sur le parking attenant au musée. Des centaines de femmes et d’hommes s’y recueilleront en mémoire des Rangers. Au prix d’un inlassable effort et de pertes monstrueuses, 225 jeunes Américains, isolés et sans renforts, durent conquérir la falaise, 90 en réchappèrent.
Un char Sherman.
Pour Éloïse, 22 ans, membre de l’Univem : La première chose qui compte, c’est vraiment de rendre hommage aux anciens à travers nos véhicules. Et comme la passion gagne vite, on commence par le véhicule puis on se dit qu’on va s’habiller de la même façon qu’eux. Puis après les vêtements, pourquoi ne pas monter un campement et voilà que l’on finit par rassembler pas mal de gens de toutes les générations autour de la raison essentielle pour laquelle on sera tous là : le devoir de mémoire. Car il ne faut pas oublier qu’ici, des milliers d’hommes qui avaient mon âge sont morts pour nous.
Voilà. Ce sera le 6 juin. Comme l’année dernière et comme l’année prochaine. Les Vétérans seront moins nombreux, bien sûr, mais les passionnés et leurs véhicules seront là, pour honorer à jamais les héros du Débarquement et célébrer notre liberté.… Et vous, serez-vous là ?
Commémorations du Débarquement, 6 juin 2024
De Utah Beach à Sword en passant par Omaha, Gold et Juno (noms de code des plages du Débarquement), les côtes de la Manche et du Calvados seront cette année le théâtre d’innombrables rassemblements. Impossible de les citer, ils se comptent par centaines ! Du samedi 1er juin au samedi 8, se succèderont marches et concerts pour la paix, visites guidées, reconstitutions, bourses militaria, bals aux lampions, salons du livre, inaugurations de stèles et de rues au nom de quelques vétérans, parades de sonneurs de cornemuse, recueillements dans les différents cimetières...
Et partout des défilés de centaines de véhicules militaires d’époque, dont un gigantesque « rasso » de Jeeps le 8 juin à Carentan-les-Marais, où se sera déroulé un autre évènement à couper le souffle le 2 juin : le parachutage de centaines de soldats de l’US Army en tenue d’époque (si la météo le permet...) !
Point d’orgue, la retransmission en direct sur les chaînes nationales et d’info continue de la cérémonie officielle du Débarquement à Saint-Laurent-sur-Mer (Omaha Beach) en présence de nombreux chefs d’état dont Emmanuel Macron pour la France et Joe Biden pour les États-Unis. Attention ! La plage sera accessible uniquement sur invitation et les déplacements des officiels occasionneront comme chaque année une circulation très difficile dans la région (où que vous alliez, prévoyez d’arriver la veille et croisez les doigts pour trouver une chambre car tous les hôtels sont pris d’assaut). Pour connaître la liste des évènements étalés sur près de 100 km de dunes : normandie-tourisme.fr et dday-overlord.com.
Visuels : © Stéphane Cohen & Univem - Guillaume Simoes