Saga Bugatti, un siècle de créativité sans limites
Publié le 30/09/2024• Par Stéphane Cohen / Santa Cruz Media
« Rien n’est trop beau, rien n’est trop cher. » Telle fut l’obsession d’Ettore Bugatti tout au long de sa vie. Conformes à sa devise, les modèles de la maison incarnent l’excellence à la française. Que ce soit dans le domaine de la vitesse ou dans celui du luxe, la saga Bugatti s’écrit depuis plus d’un siècle au gré de ses modèles toujours plus beaux, toujours plus chers...
Ettore Bugatti, un artiste au volant
Plus de vingt personnes accompagnent sa naissance. Depuis la découpe jusqu’à l’obtention de sa courbe naturelle, qui se produit d’elle-même selon un processus unique, en passant par l’émaillage, le dessin des initiales au E inversé et la coloration des soixante petites perles rouges (le tout à la main du début à la fin), dix heures réparties sur plusieurs jours sont nécessaires pour fabriquer... le célèbre badge Bugatti en argent 970 de 159 grammes. Dix heures de plus et vous obtenez le temps de fabrication d’une Peugeot 208...
Dix heures de travail d’orfèvre pour rendre chaque badge unique.
Difficile de mieux définir l’exigence en son temps d’Ettore Bugatti, le plus Français des Italiens, né à Milan, mort à Neuilly-sur-Seine (1881-1947), artiste de talent mais convaincu de se lancer dans l’entreprise automobile alors naissante, car moins doué que son frère Rembrandt, génial sculpteur animalier. Les animaux ? Une passion chez Ettore (un élevage de fox-terriers, des poules, le célèbre âne Totosche et même un zoo à domicile !) : la calandre Bugatti en fer à cheval est toujours l’une des signatures Bugatti.
Les débuts à Molsheim
Lorsqu’il s’installe à Molsheim-Dorlisheim en 1909, il a 28 ans et le soutien financier d’un banquier espagnol. C’est une terre prospère au cœur de l’Europe. Fier, autoritaire, sensible, le « chef » ne veut pas seulement des voitures de course qui gagnent, il les veut esthétiques (ses moteurs, même cachés des regards, doivent être « beaux »). C’est dans cet atelier, une ancienne teinturerie, qu’il va produire la Type 13, son premier gros succès. 7 500 automobiles suivront. Gloire et prospérité.
Entre 1920 et 1930, le « French Racing Blue 765 » s’adjuge à chaque course ou presque (2 000 victoires avec la Type 35, le record tient toujours). La réputation du constructeur est faite. Le circuit permanent du Mans portera son nom en 1966.
La Bugatti Type 35 a décroché plus de 2 500 victoires et podiums en dix ans de carrière sur les circuits !
Le luxe à la française
Mais Bugatti, c’est aussi le luxe. Summum de l’élégance et de l’ingénierie de l’entre-deux-guerres, la Bugatti Royale est produite à six exemplaires entre 1927 et 1930 (deux sont visibles au Musée National de l’Automobile à Mulhouse). Peintes aux couleurs préférées d’Ettore, le noir et le jaune, massives (plus de 6 mètres, 3 tonnes), puissantes (300cc), elles ne suffisent pourtant pas à séduire les monarques. C’est un échec commercial que le krach de 1929 puis la Grande Dépression vont bientôt transformer en faillite lorsque, miracle, l’énorme moteur est choisi pour équiper... 80 autorails. Ce contrat très lucratif permit de relancer l’entreprise.
Les six Bugatti Royale existantes à ce jour, réunies le temps du mythique concours d’élégance de Pebble Beach en Californie.
La Type 57 : un sommet de l'élégance
Dès lors, avec son fils Jean, concepteur aussi talentueux que lui et pilote émérite (il a effectué un Molsheim-Paris en 3h55, inimaginable même aujourd’hui), Ettore Bugatti laisse parler sa créativité sans limites. Elle atteint son paroxysme avec l’apparition de la Type 57 en 1933, sans doute la plus emblématique de la marque (l’un des trois exemplaires de la Type 57SC Atlantic de 1936 a été achetée 30 millions d’euros en 2010). Elle a remporté les 24 Heures du Mans 1937 et 1939, avec Jean-Pierre Wimille, Robert Benoist et Pierre Veyron. C’est au volant de ce même modèle, la Type 57G Tank, que Jean, désormais dirigeant de l’entreprise, se tue le 11 août 1939 à l’âge de 30 ans. Ettore Bugatti ne se remettra jamais de ce drame.
La fin d'une ère
À la Libération, il se battra pour récupérer son usine de Molsheim, confisquée par les Allemands entre 1939 et 1945 puis saisie par l’administration française. Il obtient gain de cause et tente de redémarrer l’activité malgré les dettes et le manque de moyens. Le 21 août 1947, à 65 ans, il meurt d’épuisement. Et sa marque avec lui. En 37 ans, il aura déposé plus de 600 brevets (même des services de table !), fabriqué près de 8 000 voitures de grand luxe ou de course, toutes devenues des objets cultes.
Après plusieurs tentatives de reprise infructueuses, la marque réapparaît en juillet 1963, rachetée par le constructeur Hispano-Suiza et reconvertie dans la construction aéronautique. En 1987, elle passe sous pavillon italien. Résultat : la l' EB110, un coupé de 550cc, présenté le jour du 110ᵉ anniversaire de la naissance d’Ettore Bugatti en 1991. D’autres propriétaires suivront, jusqu’à l’actuelle alliance Bugatti-Rimac. Cette seconde vie replace la marque au firmament du luxe et de la vitesse.
Bugatti, la quête de la vitesse
La Veyron (2005), du nom du vainqueur des 24 Heures du Mans 1939, est le modèle de la renaissance. Révolutionnaire, elle devient la voiture de série la plus rapide au monde, tutoyant les 400 km/h et ouvre l’ère des voitures de plus d’un million d’euros.
En 2016, la Chiron (hommage au chef de file de l’écurie Bugatti de 1926 à 1932) repousse les limites. Hypercar de 1500cc, flashée à 418 km/h, elle se négocie 2,4 millions d’euros. Bugatti prétend alors que les clients qui achètent ses Chiron (Cristiano Ronaldo, Jay-Z, Tom Brady...) possèdent en moyenne 42 voitures, 1,7 avion privé et 1,4 bateau ! Basés sur la Chiron, les 40 exemplaires de la Divo (2018) s’arrachent en quelques jours à 5 millions d’euros pièce.
La Voiture Noire (2019), qui rend hommage à la prestigieuse Type 57SC Atlantic 1936, est affichée à 16 700 000 € ! Célébrant l’EB110, la Centodieci (2019) est limitée à dix exemplaires et coûte environ 8 millions. La Bolide (2020) hypercar de piste dotée du fameux moteur W16 8.0 litres quadri-turbo de 1850 cc devient la voiture la plus rapide au monde : 500 km/h !
Le 20 juin 2024, Bugatti présente la petite dernière : la Tourbillon (référence à un mécanisme d’horlogerie destiné à augmenter la précision des montres mécaniques) : 1800cc, le 0 à 100 en 2 secondes ! La vitesse, toujours... Un client se plaignit un jour auprès d’Ettore Bugatti à propos des mauvais freins de sa voiture de course. Ce dernier lui répondit non sans humour que ses voitures étaient destinées à rouler, pas à freiner !
Ainsi se démarquait cet homme singulier, connu pour son franc-parler et ses mauvaises manières à table, mais qui dans son atelier se transformait en orfèvre de la création automobile, obsédé par une autre de ses devises : « si c’est comparable, ce n’est plus Bugatti. »
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Visuels : © Bugatti Automobiles, Bibliothèque nationale de France, Wikipédia