Cascadeur moto, un metier technique et périlleux
Publié le 20/11/2023• Par Thierry Traccan
S’il fait souvent rêver les jeunes en quête de sensations fortes et d’adrénaline, le métier de cascadeur moto requiert avant tout une bonne dose de technique et beaucoup de travail. Maîtrise, rigueur, esquive : des qualités essentielles pour ces motards cascadeurs dont l’implication et l’engagement apportent souvent aux films d’action l’indispensable supplément d’âme. Rencontre avec Jean-Pierre Goy et Loïck Le Jaouen, deux cascadeurs professionnels du 7ᵉ art.
Films d’action et cascades à moto : une grande histoire de cinéma
Des scènes d’action à moto qui ont marqué l’histoire du cinéma, il y en a beaucoup. Mais spontanément, deux nous reviennent plus particulièrement en tête. D’abord celle du film iconique La Grande Évasion réalisé par John Sturges en 1963. Bud Ekins, doublure de Steve McQueen, s’envole alors à près de 4 mètres au-dessus de barbelés, et sur une distance de 20 mètres, au guidon d’une Triumph 650 TR6R maquillée en machine de la Seconde Guerre mondiale. Fan de moto et pilote émérite, Steve McQueen réalisa dans ce film la plupart des plans d’action sur deux-roues, mais laissa sa place pour cette séquence (qui fut tournée en une seule prise) à son ami cascadeur hollywoodien.
Ensuite, il y a cette scène mythique dans le 18ᵉ opus de la saga James Bond, Demain Ne Meurt Jamais, avec la cascade incroyable réalisée en 1997 par Jean-Pierre Goy, doublure de Pierce Brosnan. Lancé à fond de première sur sa BMW R1200C, James Bond, alias Jean-Pierre Goy, saute par-dessus un hélicoptère depuis un appartement situé à 16 mètres de hauteur, sur une distance de 21 mètres. Il se réceptionne 5 mètres en contrebas sur le toit d’un immeuble qui ne mesure que 4 mètres de large...
Au-delà de la distance de saut comparable entre ces deux cascades à moto réalisées à trente ans d’intervalle et de la notoriété qu’elles ont pu apporter à ces films, ces deux actions sont marquantes parce qu’elles sont vraies. Pas de tricherie, pas de trucage, pas d’effets spéciaux (ou seulement pour habiller la scène dans le James Bond), mais un engagement total au péril de la vie des deux cascadeurs moto tenant les guidons. Une vie professionnelle que ces cascadeurs ont appris à construire, méthodiquement, consciencieusement, portés par autant d’envie que de talent.
Jean-Pierre Goy, le frenchie cascadeur moto de Hollywood
Légende la cascade à moto, Jean-Pierre Goy a fait de sa passion son métier. À 62 ans, il a tourné dans une vingtaine de blockbusters américains.
Un équilibre inné et une rencontre décisive
L’art de Jean-Pierre, plus que les sauts qu’il s’est mis à travailler sur le tard, tient dans sa science de l’équilibre. Un sens de l’équilibre inné mais cultivé dès son plus jeune âge quand dans la scierie familiale, son père tend des câbles au-dessus du sol pour que le petit Jean- Pierre, alors âgé de 7 ans, s’entraîne à y marcher. Pas de plan dans la tête, rien de défini, juste l’envie de s’amuser. Une répétition du geste qui ne fait que développer son sens de l’équilibre.
Logiquement, Jean-Pierre se met au trail, puis à la compétition, jusqu’au plus haut niveau, et puis du sport, la découverte des shows de cascade à moto : « En 1983, je rencontre Rémy Julienne (le célèbre cascadeur voiture des années 1970-1990) lors du salon de Bologne, et ça a démarré comme ça. » S’il n’a tourné que dans une vingtaine de films, des shows en public, Jean-Pierre en a donné des milliers aux quatre coins de la France, et même de l’Europe, pendant une période courant sur une trentaine d’années.
Jean-Pierre Goy sur le tournage de Jason Bourne, l’héritage en 2012 à Manille.
Une carrière faite de blockbusters
Même s’il n’a tourné que dans une vingtaine de films, ceux-ci ont marqué l’Histoire. Des blockbusters américains comme James Bond, Captain America, Batman the Dark Knight ou encore Jason Bourne. « Pour ce métier, il faut être à la base un bon pilote. À une époque, les cascadeurs moto étaient d’abord des casse-cous, désormais ce sont des gens qui ont un gros bagage technique. J’ai beaucoup travaillé avec les Anglais et les Américains, et la plupart viennent du moto-cross. Le style Alain Prieur, Evel Knievel, ça n’existe plus. J’ai un gros respect pour eux, pour ce qu’ils ont fait, mais ils y allaient à tâtons, au doigt mouillé. Maintenant, tout est minutieusement préparé, les cascadeurs sont prêts techniquement et physiquement. Evel Knievel aux États-Unis, Alain Prieur en France : ils ont été les pionniers. »
Cette excellence technique est ce qui fait la différence quand un chef de casting recherche sa perle rare, comme il nous le raconte : « Franchement, il n’y a pas vraiment de copinage. Et s’il y en a, ça ne joue que pour les pré-sélections, mais il y a toujours ce moment où tu dois faire tes preuves. On te choisit pour tes qualités, tes compétences. Personnellement, j’ai eu la chance de ne tourner que dans de grosses productions. Des grosses machines où tu ne manques de rien, où tu es dorloté, mais où tu dois aussi faire le job. Parce que c’est pour ça qu’on te paye. Quand tu es choisi, tu restes des mois à t’entraîner, des mois où tu roules tous les jours. Parce que dans ce type de productions, tout doit être calé dès le début du tournage. »
Il poursuit : « Tu y vas et tu enchaînes selon ce qu’on te demande : la cascade moto n°22, la cascade n°46, tu n’as plus le temps pour les répétitions. En fait, dans ces films à gros budgets, tu as deux systèmes : avec deux équipes ou avec une seule. Pour James Bond, il y avait deux équipes, une équipe dans laquelle tournaient les acteurs, une autre pour les cascadeurs moto. Pour Batman, il n’y avait qu’une équipe, et dans ce cas, tu attends que l’acteur ait fini pour faire les cascades. Il m’est arrivé d’attendre des nuits complètes dans le costume de Batman, sans rouler, sans rien faire, pour t’entendre dire au petit matin : « Good job, J.P. ! » C’était dur ça, surtout pour moi qui adore rouler. Mais ce sont de super souvenirs, tu es entouré par des équipes énormes, des mécanos, du matériel au-delà du nécessaire, et tout le monde est aux petits soins pour que tu restes dans ta bulle, sans avoir à te préoccuper de quoi que ce soit ».
Jean-Pierre Goy sur le tournage de Batman.
Loïck le Jaouen, du motocross aux plateaux de tournage
Nouvel arrivant dans le métier à 24 ans, Loïck le Jaouen n’a pas encore connu pareil traitement. Le jeune cascadeur moto a découvert cet univers par hasard : « J’ai eu ma première expérience de « cascade à moto » à l’âge de 16 ans. Un copain de mon père qui est dans le métier m’a contacté car il recherchait un jeune qui conduisait une moto de cross. Et moi je faisais du motocross en compétition. Mon rôle était d’emmener Camille Cottin derrière moi. Pas vraiment une cascade. Après cette parenthèse, j’ai continué ma scolarité, un bac mécanique moto, et puis ils m’ont recontacté pour travailler en 2018 dans le film Le Lion avec Danny Boon ». Première vraie cascade, descente d’escalier, dérapages, chute... Loïck fait le boulot. Depuis, c’est devenu le sien.
Plus qu’un boulot, un vrai métier qui ne s’improvise pas mais au contraire, se peaufine jour après jour. Comme Jean-Pierre, malgré son jeune âge, Loïck a déjà fait une vingtaine de films, mais pas avec autant de moyens. Un mal pour un bien avec cette occasion de participer activement à la fabrication des cascades : « Parce que nous sommes des plus petites productions, il y a pas mal d’échanges. On travaille en collaboration étroite avec le régleur, on a une influence pendant les tournages pour dire où mettre la caméra, quel angle attaquer, en fonction de l’axe à donner à la cascade. On apporte notre point de vue. Comparé aux États-Unis, en France on fait de la cascade à moindre coût. On s’adapte. Aux Etats-Unis, tout est plus XXL ».
Plus XXL, mais avec moins de liberté dans la préparation, comme le regrette Jean-Pierre Goy : « J’aurais aimé être plus impliqué dans la fabrication d’une cascade à moto, être vraiment force de proposition. J’arrivais sur un projet, tout était fait, je devais rester dans le moule ». Dans le moule, tant que ce n’est pas dans le plâtre... « Au cinéma je ne me suis quasiment jamais rien fait. Et puis j’ai été élevé à la dure dans la scierie familiale, je me suis rarement arrêté, même pour des fractures », rigole Jean- Pierre.
Loïck Le Jaouen en Colombie pour le film Medellín, réalisé par Franck Gastambide.
Des risques physiques et matériels bien calculés
Si le métier de cascadeur moto comporte de nombreux risques, ceux-ci sont de mieux en mieux calculés et appréhendés par les équipes techniques, comme en témoignent Jean-Pierre Goy et Loïck Le Jaouen.
Des cascades à moto minutieusement préparées pour éviter l’accident
Aujourd’hui, tout est mis en place pour que l’accident n’arrive pas. Une cascade à moto devant rester une scène du film, imaginée, préparée, réglée, comme le rappelle Loïck : « Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu peur avant de faire une cascade. Ce n’est pas comme dans une course où tu es pris par une chute, là tout est répété, envisagé, millimétré, tu connais l’action à réaliser, même si à un moment tu te retrouves seul face à l’action. C’est un peu comme quand on passe un gros saut pour la première fois en motocross. On se dit : ‘‘Là, il faut y aller!’’»
Percussions, glissades, évitements, sauts, dérapages, on peut faire beaucoup de choses avec une moto, et souvent même les combiner. Du danger alors ? Forcément oui, c’est pour cette raison que les assurances moto et assurances tout-terrain sont si importantes.
Néanmoins, les risques de cascades à moto sont scrupuleusement encadrés pour veiller à les minimiser. Et il existe des astuces pour cela, comme nous l’explique Loïck : « Une percussion de face avec une voiture, tu l’engages à peu près à 40 km/h. Le plan parfait, c’est : choc, éjection, et réception derrière la voiture, dans les cartons. Le risque c’est vraiment au moment de l’éjection, si jamais tu tapes dans le guidon. Sur un scooter, une des astuces consiste à scier le guidon pour le fragiliser, comme ça si les pieds accrochent le guidon, ce dernier casse. » Il poursuit : « Pour éviter de se prendre les pieds dedans, l’attitude à avoir est d’être déjà en flexion sur les jambes, on n’est plus assis sur la selle, on est juste au-dessus. Pour faciliter l’impulsion que l’on donnera au moment du choc, on fabrique une platine avec des repose-pieds qui permettent de se surélever par rapport au plancher d’origine du scoot. Tous les régleurs mettent les choses en place pour qu’on ne se blesse pas. »
Préserver au maximum le matériel
La même volonté d’encadrer les risques existe également pour préserver le matériel. « Quand on fait une percussion de face, les motos souffrent. On sait déjà que ce sera au minimum une fourche, souvent plus. Pour une glissade, on essaye de préserver au maximum le matériel, en mettant des plaques de téflon, en protégeant le moteur, la condition étant que ça reste réaliste à l’image » ajoute Loïck.
Et Jean-Pierre de poursuivre : « On fait attention, maintenant en fonction du scénario, certaines sont parfois détruites. Dans Skyfall, on avait des motos de cross, des Honda CRF, et dans une scène les motos partaient en l’air, seules je précise, pour retomber de 25 mètres de haut. Donc forcément... En revanche, la R 1200 C de Demain Ne Meurt Jamais, après un saut de 21 mètres de long, n’a eu que des clignotants cassés ! » Et au cas où, pour ne pas arrêter un tournage, la production prévoit des motos de remplacement, en général une ou deux dans les productions françaises, et pas loin d’une dizaine dans les blockbusters américains.
Une histoire de moyens, comme toujours, et des salaires qui suivent la même logique, même si on gagne bien sa vie en France, à condition de tourner régulièrement. Mais entre l’adrénaline et le plaisir d’évoluer dans un univers où l’on cultive le rêve, ce métier à nul autre pareil, continuera de faire tourner les têtes. Des cascadeurs moto en premier lieu, des spectateurs ensuite, et à 360°.
Visuels : © Jean-Pierre Goy / Loïck Le Jaouen / Antoine Boullé / Shutterstock