WorldWCR : nouveau Championnat du Monde MotoGP 100 % féminin

Publié le 06/11/2025 Par Thierry Traccan

Quand les pilotes masculins Marc Marquez, Fabio Quartararo, Francesco Bagnaia, Jorge Martin et consorts portent le MotoGP, discipline reine du sport moto, les filles passionnées de vitesse sont restées dans leur ombre pendant des années. Plus que cela d’ailleurs, dans le néant complet puisqu’avant 2024 il n’existait pas de championnat du monde de moto de vitesse 100 % féminin. Drôle de paradoxe, alors qu’il existe des championnats réservés aux femmes dans la totalité des disciplines offroad, et que le MotoGP se présente comme la série la plus célèbre du sport moto.

Un pas vers la visibilité des femmes dans le sport moto

Avant cette date, dans ce désert bitumé, pas d’autre choix pour les meilleures d’entre elles que d’aller se frotter aux hommes dans les catégories de leur choix. On se rappelle des excellents résultats de Katja Poensgen, la pilote allemande en GP 250, au début des années 2000. Des équipages vaillants 100 % féminins engagés en mondial d’Endurance. Ou du titre mondial décroché par la pilote espagnole Ana Carrasco, dans la classe 300 cm³ en 2018. Une catégorie 300, ultra disputée et fréquentée par les jeunes chiens fous qui aura vu l’expérimentée Ana Carrasco parvenir à museler tous ses jeunes rivaux masculins. Une grande première dans l’histoire du sport moto, pour un succès éclatant ! La démonstration que les filles peuvent battre à la régulière les garçons en vitesse, même si on parle là d’une classe intermédiaire, loin des très relevés championnats Supersport et Superbike, et à des années-lumières de l’ultra-sélect catégorie MotoGP.

La promotion 2025 du championnat.
La promotion 2025 du championnat.

La naissance du WorldWCR

Soyons objectifs, comme Rome ne s’est pas faite en un jour, les instances fédérales ont décidé de réparer leur erreur dans la classe reine du MotoGP, en lançant en 2024 le premier championnat du monde de vitesse féminin. Les pilotes féminines ont alors eu à la fois une vitrine d’exposition, l’accès à une compétition où elles se confrontent entre elles, et la possibilité de progresser ensemble avec l’occasion pour les meilleures de rejoindre des catégories plus relevées, en mixte, sans considération de genre.

Ce championnat WorldWCR ouvre une nouvelle porte aux aspirantes championnes de vitesse. Comme témoignait l’Espagnole Beatriz Neila au début de la saison 2024, alors championne d’Europe 2023 : « Il y a toujours eu des femmes qui roulaient contre des hommes, mais aucune n’a atteint les catégories les plus élevées. Pourquoi ? Parce que les femmes et les hommes sont différents, sont physiquement différents. Ce championnat permettra aux femmes d’être reconnues, de se battre pour un titre mondial, d’avoir un classement, de voir qui est la plus rapide du monde, de tirer profit de notre statut de femme dans le monde de la moto, de montrer à tous ce que nous pouvons faire sur une machine de course. C’est une référence pour les nouvelles générations. »

Émily Bondi au duel, sur sa Yamaha R7.
Émily Bondi au duel, sur sa Yamaha R7.

Un format pensé pour l’équité

Cette nouvelle série, les instances fédérales l’ont imaginée dans un souci d’équité, en limitant les coûts pour accueillir un maximum de candidates. Ainsi, à la différence des autres championnats du monde de vitesse, ici le droit d’entrée pour chaque candidate se cantonne à « seulement » 25 000 €. Ce qui inclut le transport et le prêt d’une Yamaha R7 sur les six épreuves du championnat, et la fourniture des pneumatiques et de l’essence nécessaire. Un budget extrêmement limité quand on parle des sports mécaniques au niveau mondial et qui montre les efforts faits par la fédération internationale mais aussi par Yamaha, le constructeur engagé dans cette compétition.

Eric de Seynes, alors président du conseil de surveillance chez Yamaha Europe, a beaucoup œuvré à la création de cette série. Il confiait avant le lancement du championnat : « On souhaite soutenir le sport dans tous ses aspects, et en tant que constructeur on doit prendre nos responsabilités. On ne peut pas être fiers de gagner et ignorer le reste de la pyramide. Si on veut être champions, on doit prendre soin des jeunes champions de toutes les catégories et les aider à progresser. En motocross, on a toujours supporté les femmes pilotes dans les championnats féminins. Lorsque cette idée en vitesse a été évoquée, on était motivés à la soutenir. Environ 30 % de nos clients chez Yamaha sont des femmes, et elles désirent faire de la compétition. Avec ce championnat, nous les aiderons à montrer leur talent. »

Des Yamaha R7 pour toutes les pilotes, soit des sportives de série, préparées pour la course, et qui développent dans cette configuration moins de 90 chevaux. On est loin des plus de 300 chevaux des MotoGP, la FIM et Yamaha ont fait le choix de l’accessibilité dynamique et financière pour ces premières éditions. Sans oublier celui de l’équité sportive, puisque toutes les concurrentes roulent sur des motos aux performances équivalentes. L’occasion de juger du talent des pilotes. Et sans surprise, ce sont les Espagnoles que l’on retrouve aux avant-postes. Comme c’est souvent le cas chez les hommes, avec les frères Marc et Alex Marquez en tête.

Mallory Dobbs
Mallory Dobbs.

Les Espagnoles en tête du classement

Avec dix-huit nationalités représentées sur la grille de départ en 2024, trois pilotes ibériques se seront livré une superbe bataille tout au long de la saison, dont la grande favorite Ana Carrasco est sortie victorieuse devant Maria Herrera et Sara Sanchez.

Championne du monde avec les garçons en 2018, première championne féminine de l’histoire en 2024, Ana Carrasco a décidé en 2025 de rejoindre le mondial Supersport, mixte donc… Enfin, quasi exclusivement masculine puisqu’Ana en est l’unique représentante féminine. Elle y occupe actuellement la trentième position au général, n’étant pas encore parvenue à rentrer dans les points cette saison.

Tremplin vers des catégories supérieures pour les plus téméraires ? Finalité pour celles désireuses de rester dans un championnat qui leur est dédié ? Tout est possible ! On peut d’une façon globale se réjouir de l’arrivée du WorldWCR dans le paysage mondial de la vitesse. Et lui souhaiter de migrer dans les prochaines années vers le paddock MotoGP, avec le but de lui donner une plus grande visibilité, et le médiatiser comme une compétition à part entière, non plus comme une série additionnelle.

Les trois tricolores engagées en 2025

Émily Bondi ( Team YART Zelos Black Knights Team)

Émily Bondi

On peut pour Emily parler de progression fulgurante, ou d’ascension éclair, c’est au choix. Il est vrai qu’avec seulement un peu plus de deux saisons de compétition dans les jambes, la trajectoire de la Parisienne vers le haut niveau est hors norme. Pas vraiment le temps de l’apprentissage pour cette jeune fi lle de toute façon pressée qui, forte d’un titre de championne de France féminine en 2023, s’est vue propulsée par la fédération française de motocyclisme en championnat du monde. Une marche haute mais une marche joliment franchie puisque la jeune pilote âgée de vingt-trois ans y aura marqué 31 points, terminant à la quinzième position fi nale. Blessée durant l’intersaison, Emily a attaqué 2025 sans préparation, et s’évertue depuis à rattraper le temps perdu. Seizième au provisoire avant l’épreuve de Magny-Cours (5 et 6 septembre), on peut lui faire confiance pour ne rien lâcher.

Ornella Ongaro ( Team Ornella Ongaro Racing)

Ornella Ongaro

La plus âgée mais raussi la plus capée de la délégation tricolore. Ornella, née en 1990, pratique la vitesse depuis ses plus jeunes années. Elle peut se targuer d’avoir lutté, et même parfois battu, Marc Marquez dans les courses réservées aux jeunes pousses. Excellente pilote capable de sauter d’une 500 bicylindre de 60 ch à une 1000 quatre cylindres de 200 ch. La Cannoise a multiplié les expériences et les catégories tout au long de ces années de compétition. Après ces sept dernières années passées sans jamais trouver de réelles opportunités pour courir, Ornella s’est relancée en 2024 avec la création de ce championnat du monde féminin. Dixième en 2024, actuellement douzième du provisoire, la Française s’est fracturée l’humérus lors de la dernière épreuve du mondial disputée en Hongrie. De quoi lui offrir un nouveau défi, celui de prendre le départ – avec seulement un mois depuis son opération – à la manche française de Magny-Cours les 6 et 7 septembre. Une guerrière Ornella.

Lucie Boudesseul ( Team GMT 94-Yamaha)

Lucie Boudesseul

La cadette des Tricolores est aussi, à ce jour, la mieux placée au championnat du monde féminin où elle occupe le huitième rang au cap de la mi-saison. À tout juste vingt-deux ans, la Normande a su convaincre l’emblématique patron du GMT 94, Christophe Guyot, de lui faire confiance. Habituée des 1000 cm³, développant plus de 200 chevaux avec lesquelles elle aura su se faire remarquer en championnat de France, il n’aura pas fallu beaucoup de temps à Lucie pour se faire à la « petite » Yamaha R7, même si on devine qu’elle ne va faire que progresser à son guidon. Habituée aux courses mixtes depuis de nombreuses saisons, Lucie adhère à cette idée de championnat réservé aux filles même si son ambition ultime sera de rejoindre à terme le championnat du monde en catégorie Moto2 (l’antichambre du MotoGP).

Beryl Swain, la pionnière sacrifiée

Si les femmes ont en 2025 tout loisir de participer à des compétitions de motos de vitesse, que ce soit dans des courses mixtes ou dans des séries qui leur sont exclusivement réservées, on peut dire qu’il n’en a pas toujours été ainsi.

Les générations actuelles peuvent se souvenir de ce que leurs aînées leur ont offert, de l’énergie qu’elles ont mise et de cette capacité à se bagarrer pour faire accepter leurs candidatures, sans que ça ne suffise toujours.

Première femme à participer au Tourist Trophy (TT) de l’île de Man en 1962 dans le cadre du championnat du monde 50 cm³, la Britannique Beryl Swain aura été de ces pionnières. À une époque où piloter une moto n’était aucunement considéré comme une activité féminine, Beryl, à force de détermination a réussi à déplacer des montagnes. Prenant le départ de la course, elle arrivera vingt-deuxième, laissant à l’arrivée quelques concurrents masculins derrière elle, alors même qu’une casse du pignon du troisième rapport l’aura handicapée dans sa quête de performances. Une première qui en appelait d’autres, d’autant que Beryl entendait bien dès l’année suivante intégrer la classe reine des 500 cm³.

Las, la fédération internationale et l’organisation du TT ont décidé, apeurées à l’idée qu’elle puisse être victime d’un accident (à moins que ce ne soit le risque qu’elle laisse encore plus de garçons derrière elle), de changer le règlement en imposant aux filles, plutôt que de leur interdire directement l’accès aux compétitions, un poids minimal très élevé et incompatible avec ce que réclame le pilotage d’une moto… Le rêve de Beryl se brisa net, comme le rêve de celles qui entendaient lui emboîter le pas.

Il faudra attendre quinze ans pour que les pilotes féminines soient à nouveau acceptées, et qu’Hilary Musson prenne son relai en 1978, terminant le TT à la quinzième position. Ce n’était cette fois plus une bèche, mais une ouverture définitive pour la gent féminine, qui doit beaucoup à l’engagement initial de la pionnière Beryl !

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Visuels : © FIM WCR, Lily Rault