Alban Michon, le plongeur des glaces

Publié le 10/08/2023

Spécialiste de plongée sous la glace, Alban Michon est aussi un explorateur chevronné qui a effectué plusieurs missions dans l’océan Arctique. En plongeant sous la banquise, Alban Michon a rapporté des images exceptionnelles d’un monde menacé de disparition en raison du réchauffement climatique. Rencontre avec un passionné des pôles qui se présente comme un « explorateur de solutions » pour l’avenir de la planète.



Alban Michon

D’où vient votre passion pour la plongée ?

Bien que je sois né loin de la mer, à Troyes, j’ai eu un déclic en regardant les documentaires du commandant Cousteau dans ma jeunesse. Il y a 40 ans, on découvrait la mer grâce à lui ! Et les magazines de plongée me faisaient rêver. Puis j’ai découvert la plongée en piscine à 11 ans et j’ai trouvé cela extraordinaire. Très jeune, j’ai su que ma vie serait dédiée à cette activité. Avec des copains, on séchait régulièrement les cours à Troyes, pour aller récupérer des fusils Lebel (très utilisés lors de la Grande Guerre, NDLR) au fond des rivières. C’était déjà l’aventure ! J’ai ensuite passé mes diplômes de plongée en lacs et rivières.

Comme j’avais des résultats assez médiocres à l’école, j’ai vite compris que je ne pouvais compter que sur moi-même pour réaliser mes rêves. Dès l’âge de 15-16 ans, j’ai écrit le scénario de ma vie, à la manière d’un réalisateur qui rédige le scénario de son film. J’ai écrit que je voulais devenir moniteur de plongée, écrire des livres, réaliser des films et des expéditions !


Comment a débuté votre activité de plongée sous la glace ?

À 20 ans, j’ai quitté l’école et l’année suivante, je suis parti à Tignes lorsque j’ai entendu qu’une école de plongée sous glace était à vendre. Mais je n’avais pas un sou en poche ! Les propriétaires ont accepté de me céder l’école moyennant un crédit vendeur.

J’ai géré l’école de plongée sous glace de Tignes pendant une quinzaine d’années. Je plongeais par tous les temps, même la nuit à -25° C. J’ai acquis un savoir-faire en matière de plongée sous glace et avec cette école, nous avons démocratisé cette activité.


Qu’est-ce qui vous a poussé à partir explorer les régions polaires ?

À force de plonger sous la glace régulièrement, j’ai compris qu’elle bougeait. La glace est vivante : on l’entend craquer… Selon la luminosité extérieure, on observe des différences de couleur, de relief… J’ai découvert qu’il existait 11 types de glaces, que chacune avait un nom différent au Canada, par exemple. Je me suis intéressé aux études scientifiques réalisées grâce aux prélèvements de glace. On a ainsi retrouvé dans la glace du Groenland des traces de plomb, qu’on a pu expliquer par les extractions effectuées dans les mines de plomb en Espagne au XIIIᵉ siècle ! Avec le vent, le plomb s’était déposé jusqu’au pôle Nord…

La glace est un témoin. On trouve ainsi aujourd’hui des traces de microplastique jusqu’en Antarctique… J’ai aussi compris le rôle majeur que joue la fonte des glaces dans l’accélération du réchauffement de la planète, avec pour conséquence le changement des courants océaniques, la montée des eaux, l’acidification des océans, les changements du Gulf Stream, la fonte du permafrost.

Alban Michon

Quels ont été vos premiers défis ?

L’équipe de Jean-Louis Etienne m’a contacté pour avoir des conseils sur la plongée sous la glace pour son expédition « Total Pole Airship ». Puis j’ai accompagné en 2010 la mission « Under The Pole I », destinée à rejoindre le pôle Nord géographique, en tant que responsable de la plongée. Nous étions 8 aventuriers, dont 5 plongeurs. Nous avons exploré la banquise pour rejoindre la côte Nord du Canada, sur plus de 800 km, en tirant nos traineaux sur la banquise arctique, un océan gelé. Au cours de ce périple, qui a duré 45 jours, nous avons effectué 51 plongées.

Côté scientifique, nous avons réalisé des expériences sur la qualité du sommeil. Notre mission était aussi de rapporter des images sous-marines pour les générations futures, car très peu de plongées avaient été effectuées en Arctique jusque-là. En rapportant de telles images, nous sommes les témoins d’un monde qui disparaît. Dans 30 ou 40 ans, la glace aura quasiment disparu dans ces régions, au moins durant l’été.


Puis vous avez monté vos propres expéditions ?

Oui. J’aime les défis, je m’ennuie quand tout va bien ! En août 2012, je suis parti pendant deux mois en kayak, avec mon ami Vincent Berthet, longer la côte est du Groenland en kayak. Le but du programme scientifique, mis en place avec le CNES, était de mesurer de la pollution atmosphérique.

Malgré des températures plutôt clémentes, cette expédition a probablement été la plus difficile de celles que j’ai menées. Nous avons effectué 1 000 km à la seule force des bras et je n’avais fait que 6 jours de kayak auparavant, donc je n’avais aucune technique…

Nous avons dû affronter de grosses vagues, face à des blocs de glace qui pouvaient se retourner à tout moment. J’ai plongé sous les icebergs pour ramener des images. En Arctique, certains murs de glace descendent jusqu’à 30 mètres de profondeur ! Je suis convaincu qu’en mettant en valeur la beauté de la nature dans ces régions du monde méconnues et menacées, on donnera envie de préserver ces paysages.

Alban Michon et Vincent Berthet sur un kayakAlban Michon et Vincent Berthet sur des kayaks dans l’Océan Arctique.

Comment se passe la préparation et le déroulement d’une mission ?

Nous avons parfois des contacts sur place, avec les Inuits notamment, qui connaissent très bien leur territoire, même s’ils restent généralement sur un périmètre restreint d’environ 150 km autour de leur village pour pêcher ou chasser. Nous travaillons aussi avec diverses institutions pour le volet scientifique. Une fois sur place, un photographe et un caméraman m’accompagnent pendant un à trois jours, en début d’expédition. Puis je prends le relais et ils me rejoignent un peu avant la fin d’aventure. Pour les images de l’ours polaire avec lequel je me suis retrouvé nez à nez dans l’eau au Groenland, l’équipe de tournage partait le lendemain… Un gros coup de chance !


Vos expéditions visent notamment à sensibiliser le public à l’accélération de la fonte des glaces… Quel est votre point de vue sur les changements climatiques en cours ?

Il faut bien comprendre que si nous voulons protéger le monde, il faut en connaître son évolution, partout et régulièrement. Nous disposons par exemple seulement de 60 ou 70 ans de données météorologiques régulières, ce qui est infime à l’échelle de l’histoire de notre planète (4,5 milliards d’années).

Et malgré la présence de satellites, de stations scientifiques ou de bouées océanographiques, il reste des endroits où nous n’avons toujours que peu ou pas d’informations régulières. Or les scientifiques ont besoin de connaître par exemple l’épaisseur de glace ou l’hydrométrie à différents endroits précis du globe et de manière régulière. C’est grâce à cela qu’ils peuvent ensuite affirmer que le monde évolue mais surtout de quelle manière.

J’insiste sur ce point, il ne faut pas uniquement voir les choses en noir. Dans les années 80, des scientifiques en Antarctique ont découvert un trou dans la couche d’ozone provenant des gaz CFC contenus notamment dans les réfrigérateurs et les aérosols. Grâce au Protocole de Montréal, signé par la Communauté économique européenne et 24 autres pays, qui a interdit l’utilisation de ces gaz, 30 ans plus tard, le trou dans la couche d’ozone est en train de se résorber. C’est un exemple d’espoir.


En tant qu’explorateur, quel est votre rôle ?

Chaque expédition est suivie d’une phase de partage à travers des films, des livres, des festivals ou interventions en milieu scolaire. La pédagogie est primordiale : si on n’explique pas, on ne peut pas comprendre. Le rôle d’un explorateur est d’être un témoin, un cobaye ou éventuellement un ouvrier scientifique, en étant présent là où les scientifiques ne peuvent pas rester, en raison des conditions extrêmes. Mark Twain disait : « Il vaut mieux être un optimiste qui a parfois tort, qu’un pessimiste qui a toujours raison. »

Moi je suis un optimiste, mais pour avancer, il faut acter les choses. Quoi que l’on fasse, il y aura demain plus de 200 millions de réfugiés climatiques, des guerres, des famines et de plus en plus de catastrophes naturelles. Mais ça n’est pas pour autant qu’il faut rester les bras croisés ! Mon rôle n’est pas, comme le fait le GIEC, d’alerter les politiciens. Je prends acte, je note, je démontre, je témoigne et j’essaye d’apporter des solutions. Aujourd’hui, je me transforme en explorateur de solutions.

Alban Michon

Les changements climatiques de ces dernières années ont-elles eu un impact sur vos expéditions et leur préparation ?

En effet, en particulier depuis 5 ou 6 ans. J’ai monté l’École des explorateurs à Tignes, pour former des personnes souhaitant partir à l’aventure. Cet hiver, deux d’entre eux ont souffert du manque de neige et un autre a même dû arrêter son expédition en Islande, car son traîneau s’était abîmé sur la terre. Ce sont des problèmes qui n’existaient pas auparavant.

En 2017, je devais faire une expédition en solitaire, et la couche de glace sur l’eau (l’embâcle) a mis du temps à se former. En novembre, il y avait une différence de température de 20 degrés. Au lieu des températures habituelles de -25° C, il faisait -5° C pendant plusieurs jours ! Les Inuits n’avaient encore jamais vu ça. Il neigeait au lieu de geler, donc les déplacements en motoneiges ou en chiens de traîneaux étaient plus compliqués et la glace moins solide.


Quel est votre meilleur souvenir d’expédition ?

En 2018, j’ai effectué 500 km pour rejoindre le « Passage du nord-ouest » pendant 62 jours en skis de fond, en solitaire, avec 2 traîneaux. Les températures atteignaient parfois les -55° C. Malgré tout, je garde de très bons souvenirs de cette expédition. Je devais prélever du plancton en plongée et effectuer des mesures pour évaluer la réactivité du cerveau en milieu extrême.


Quelles sont vos autres passions ?

Je réside désormais 6 mois à Tignes et l’autre moitié de l’année sur la presqu’île de Giens. J’ai un bateau avec lequel je pars très souvent en mer, pour faire de la plongée. J’ai la chance d’être entouré d’îles magnifiques situées au cœur du Parc national de Port-Cros et Porquerolles.

Alban Michon

Pour En savoir plus sur Alban Michon

Livres

  • L’École des Explorateurs (oct. 2022)
  • L’Itinéraire d’un nomade des glaces (2019)
  • Glaceo, l’envers d’un monde de cristal (2015)
  • Le Piège blanc (2013)

Films

  • Artik, 62 jours en solitaire (2019)
  • L’Homme qui voulait plonger sur Mars (2017)
  • Le Piège blanc (2013)

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Visuels : © @lecinquieme rêve - Christophe Silvestre / Andyparant.com /Thomas Vollaire