Competition de jet-ski : Cyrille Lemoine, la glisse dans la p’eau
Publié le 02/06/2023• Par Thierry Traccan
Cyrille Lemoine, ancien champion de jet-ski, est l’un des Français les plus médaillés de la discipline avec 12 titres mondiaux. Il revient pour Cap’Passion sur ses débuts à moto, ses coups durs et ses années au sommet en jet-ski de compétition. Il nous donne aussi son point de vue sur l’évolution récente de la discipline, liée à la mise sur le marché d’engins surpuissants.
Des débuts prometteurs en 2-roues
L’histoire de Cyrille Lemoine débute très tôt, guidon en main, mais avec des roues. Comme toutes ces générations de dizaines de milliers de pilotes, dont quelques-uns devenus célèbres, c’est au guidon d’une Yamaha PW50 que l’histoire commence. Cinq ans après sa naissance au Creusot, le jeune Bourguignon connaît ses premiers émois de pilotage. Une bassine remplie de passion dans laquelle Cyrille s’immerge, poursuivant au cours des années suivantes son cursus d’apprenti pilote, à commencer par les courses départementales à ses 11 ans, suivies par les courses régionales, puis nationales.
Inscrit dans la pépinière de talents que constitue le Championnat de France Minivert*, Cyrille fait ses armes : « Je roulais dans les 10 premiers, j’étais pas mal mais ce n’était pas un truc de fou non plus. Un peu plus tard, j’ai gagné la Ligue en moto 125 cm3. Et puis l’année suivante, en 1994, je me casse le tibia et le péroné au début de l’été. J’ai passé mes grandes vacances entre hôpital et plâtre... C’était un peu la goutte d’eau, j’en avais marre de me faire mal et avec mon père, on a décidé de passer à autre chose. À l’époque, j’hésitais entre le karting et le jet-ski. »
* Le championnat de France Minivert est la plus grande compétition de motocross pour les jeunes. De nombreux champions tricolores y ont débuté : Mickaël Pichon, multiple champion du monde et des États-Unis de motocross, ou Johnny Aubert, double champion du monde d’enduro
Des compétitions de moto aux compétitions de jet-ski
Finalement, Cyrille Lemoine se décide pour le jet-ski. Les deux Honda 125 CR de motocross sont revendues et remplacées par un jet-ski à selle. Le jet-ski à bras ne colle pas en effet avec sa grande taille. Les caractéristiques de cet engin lui rappellent immédiatement le pilotage de sa moto. De quoi se sentir au guidon comme un poisson dans l’eau... enfin plutôt sur l’eau... ou plutôt comme un poisson volant !
Si les finances sont limitées, la motivation est énorme. La jambe consolidée, avec son jet-ski d’origine, il s’attaque à 17 ans au championnat de France. D’emblée les résultats arrivent : « Le gros avantage, c’est que j’avais l’expérience de la moto, des départs en paquets. Le jet avait 15 ans de retard sur la moto, et là je me suis retrouvé avec des gars qui avaient une bonne trentaine d’années. Moi j’avais la fougue de ma jeunesse et peur de rien ».
Pour sa première année de compétition de jet-ski, il remporte le championnat de France en catégorie standard Les jeunes n’étant pas légions parmi les engagés, il attire l’œil de partenaires qui lui apportent rapidement un soutien technique et financier. Parallèlement à son engagement en course, et certainement pour profiter complètement de sa nouvelle discipline, il ouvre avec son père un magasin de jet-ski à Chalon-sur-Saône. Mais c’est bien l’adrénaline de la compétition qui motive Cyrille.
Dès l’année suivante, en 1996, il passe dans la catégorie F1, la plus relevée de la discipline. L’apprentissage se poursuit en mode express, il termine troisième en France et septième de sa première campagne européenne. Un an plus tard, il manque le titre mondial de compétition de jet-ski d’un rien, cassant son moteur dans le dernier tour... La mécanique, une variable qui n’a rien d’un simple ajustement dans une discipline où on les pousse au maximum.
Années 2000 : une moisson de titres mondiaux pour Cyrille Lemoine
Durant les années qui suivent, le Bourguignon remporte quelques titres majeurs. Il se distingue à Oléron qui reste la référence des courses d’endurance, mais aussi en Europe où il s’impose en 2000 et 2001 : « De 2002 à 2004, ça a été plus dur. Je pilotais pour la marque canadienne Sea-Doo, c’était le début de la motorisation 4 temps et la marque croyait dur comme fer en cette technologie, contrairement à nos adversaires qui restaient concentrés sur le 2 temps. On faisait beaucoup de développement et on essuyait les plâtres... Parfois on cassait trois moteurs dans le week-end, mais malgré ça, ce que je me disais, c’est qu’on travaillait pour l’avenir. Beaucoup de pilotes Sea-Doo à cette époque n’ont pas eu la patience et ont quitté le navire. Moi je suis resté et ça a payé les années suivantes... »
Il poursuit : « À partir de 2005, j’ai eu cinq années incroyables. En 2005 et 2006, franchement, il y avait moi et les autres. J’ai tout gagné : champion de France, d’Europe et du monde de vitesse, champion du monde off-shore, champion du monde et champion d’Europe d’endurance. J’ai juste perdu le titre de champion de France sur une casse moteur. »
Au bon endroit au bon moment, Cyrille Lemoine enchaîne les résultats en jet-ski de compétition. Et puis comme toujours, à un cycle qui se termine en succède un autre. Les concurrents rattrapent leur retard, la compétition s’équilibre et l’avantage bascule dans un autre camp.
Une fin de carrière douloureuse aux États-Unis
En 2012, Sea Doo décide d’arrêter la course. Le pilote tricolore fait des pieds et des mains pour conserver un budget, défendant sa cause en soutenant qu’on ne peut pas passer de tout à rien d’une manière aussi brutale. Le Canada lui consent un support pour la saison, mais le prévient que ce sera la dernière. En fin d’année, il signe avec un team italien, avec deux saisons compliquées à la clé... Le moment que choisi Yamaha France pour lui tendre la main. Une association couronnée en 2016 d’un nouveau titre mondial. Le dernier. Le douzième.
Désireux de voir autre chose, toujours passionné de motocross et de supercross et fréquentant certains athlètes de ces disciplines qu’il côtoie grâce à des sponsors communs, il s’envole pour les États-Unis. Là-bas, installé sur la Côte Ouest, il pilote pour un gros concessionnaire local, du genre à vendre plus de jets dans son magasin que ne le font en France tous les concessionnaires de toutes les marques réunis.
Hélas, l’idylle ne débute pas de la meilleure des manières. Dès sa première course en compétition de jet-ski à Daytona en Floride, lors d’une chute, son jet vient le percuter et lui fracture hanche et tête du fémur... Soulagé de 45 000 $ de frais d’hôpital et plombé par la douleur, sa saison se termine avant même de commencer.
La nouvelle vie de l’ancien champion de jet-ski en compétition
Cyrille reprendra le guidon l’année suivante, mais avec la tête un peu ailleurs. Le moment de raccrocher la combinaison en néoprène pour de bon. Quant au cuir, le sien, il en profite pour le tanner aux rayons du soleil californien. Pendant trois ans, il partage son temps entre ses potes du supercross et sa boutique de macarons qu’il a montée avec son épouse en bord de plage, à Laguna Beach : « Si j’avais été 12 fois champion du monde en MXGP (motocross), je serais plus à l’abri financièrement aujourd’hui... Le jet-ski en compétition, ce n’est ni le football ni la F1. Entre 2005 et 2010 c’était plutôt sympa, mais sans jamais gagner des millions pour autant ».
Finalement, le mal du pays le rattrape, tout cela conjugué à la difficulté de se faire de véritables amis aux États-Unis et l’opportunité de vendre sa boutique, avec une remise des clés pile quinze jours avant que le Covid ne bloque la planète. La chance. Ou le flair. Sûrement un peu des deux...
À sa Bourgogne natale, Cyrille préfère désormais le sud de la France, au climat plus californien sans doute. L’occasion aussi de continuer dans son cœur de métier. Si vous descendez dans le Sud jusqu’aux pontons du port de Cavalaire, vous pourrez le rencontrer et profiter de ses conseils expérimentés pour conduire un jet-ski en toute sécurité. L’ancien champion tricolore met en effet 24 scooters des mers à la location depuis sa base, du printemps à l’automne. Ce n'est pas tous les jours qu’on a la chance de se faire conseiller par un chic type 12 fois champion du monde, non ?
Le regard de Cyrille Lemoine sur l’évolution de la discipline
Quand j’ai commencé en 1995, un jet-ski d’origine développait 85 chevaux. En 1996, dans la catégorie F1, la plus avancée, un F1 valait entre 130 et 140 chevaux pour un poids, grâce à nos coques en carbone, de 120 kg. Aujourd’hui, les jet-skis de compétition engagés en F1 développent 600 chevaux pour moins de 200 kg ! Le 0 à 100 km/h se couvre en moins de 2 secondes ! C’est incroyable. Quand tu lâches les gaz, tu t’envoles littéralement.
Mais je trouve que le pilotage du jet n’a pas évolué en bien. Au début, le jet, c’était comme une moto, c’est-à-dire que si tu ne mettais pas ton pied au bon endroit, si tu n’avais pas la bonne position, la bonne accélération, ton jet faisait un 360° et tu tombais. Aujourd’hui, en exagérant à peine, tu tournes le guidon et ça va, même avec 600 chevaux à gérer.
En championnat du monde, les selles creusées sont autorisées, ça veut dire qu’une fois enfoncé dans ta selle, ton dos et ton ventre sont calés. Tu peux donc mettre les gaz à fond sans risquer de partir en arrière, ou de basculer en avant. Pour faire simple, si tu mets un bon pilote de moto dessus, au bout de 15 minutes il va aller vite. Avant, il se serait mis quelques grosses boîtes avant de comprendre le truc... Il y avait un apprentissage, ça se méritait. »
Cyrille Lemoine
Surnommé « Ice Man » dans sa jeunesse pour son regard froid et déterminé, Cyrille Lemoine est né le 30 juillet 1977 au Creusot (Saône-et-Loire).
Il tient aujourd’hui une base de jet-skis et Flyboard à Cavalaire-sur-Mer (83).
Palmarès
- 13 fois champion de France de 1995 à 2014.
- 4 fois champion d'Europe.
- 12 fois champion du monde de 1998 à 2017.
Visuels : © Cyrille Lemoine