Quand la mer rencontre la lumière : l’histoire fascinante des phares

Publié le 30/06/2025

Les phares maritimes se dressent depuis des millénaires en sentinelles lumineuses pour guider les navires et prévenir les naufrages. Placés sur les côtes ou les récifs isolés, ils signalent aux marins la proximité des zones dangereuses et l’entrée des ports. Bien avant l’ère du GPS et des satellites, la lueur d’un phare offrait aux équipages un repère vital dans la nuit ou la tempête, souvent synonyme de salut après de longues traversées. Au fil des siècles, les phares sont ainsi devenus des symboles de sécurité et de protection pour les navigateurs du monde entier.

le roi des phares
Le « roi des phares » inscrit au patrimoine de l’UNESCO.

Histoire des phares : de l’Antiquité à nos jours

Depuis l’Antiquité, l’homme a cherché à assurer la sécurité de ses navires. Érigé au IIIᵉ siècle av. J.-C. sur l’île de Pharos, le célèbre phare d’Alexandrie est resté dans les mémoires pour son gigantisme. Haut de plus de 100 m, il guidait les navires grâce à de grands feux réfléchis par des miroirs polis. Après 17 siècles d’activité, il fut détruit au Moyen Âge par un tremblement de terre, mais son héritage perdure à travers le mot « phare » lui-même, dérivé de Pharos.

Après la chute de l’Empire romain, qui érigea plusieurs phares (dont la Tour d’Hercule en Espagne toujours en service avec une source de lumière moderne), l’entretien des phares déclina en Occident, mais cette idée ne disparut pas totalement. Au Moyen Âge, on vit réapparaître des tours à feu rudimentaires dans certaines zones côtières. À la fin du XVIe siècle, un phare d’un genre nouveau vit le jour en France : le phare de Cordouan. Installé sur un îlot rocheux à l’entrée de l’estuaire de la Gironde, sa construction commencée sous Henri III fut achevée en 1611 sous Louis XIII. Baptisé le « Versailles des mers » en raison de son architecture élégante et de sa chapelle royale intégrée, Cordouan marque l’entrée des phares dans la modernité. Rehaussée de 30 m sous Louis XVI, cette tour de pierre fut dotée en 1790 par l’ingénieur Teulère du premier feu tournant à réverbères paraboliques. Puis, dès 1823, de la première lentille de Fresnel. Mais c’est au XVIIe siècle, sous Louis XIV, que Colbert et Vauban mettent en place, le premier réseau de phares le long des côtes françaises pour favoriser le commerce maritime et protéger les ports de guerre.

Le XIXᵉ siècle marque l’âge d’or des phares avec l’invention en 1822 de la lentille de Fresnel. En concentrant la lumière en un faisceau puissant, ce dispositif représente l’évolution des systèmes d’éclairage. Il va augmenter la portée de plusieurs dizaines de kilomètres. Aux feux de bois succèdent les lampes à huile aux réverbères puissants protégés par une lanterne, puis le pétrole et le gaz d’acétylène, rendant les phares plus efficaces et autonomes. Vint enfin l’électrification, avec un premier phare électrifié en Angleterre dès 1858, suivi de la France en 1863 avec le phare de la Hève près du Havre. Le XXeᵉ siècle transforma profondément le rôle des phares. Dès les années 1910, les premiers systèmes automatisés apparaissent grâce aux lampes à gaz autogérées. L’électrification et l’électronique accélérèrent ce processus, et la France automatisa massivement ses phares jusqu’en 2004 avec le phare de Kéréon, en mer d’Iroise.

Le métier de gardien de phare : une vocation en voie de disparition ?

Avant l’automatisation, être gardien de phare relevait d’une véritable vocation, souvent rude et solitaire. Chargés de veiller en permanence sur la lumière qui devait guider les navires, les gardiens vivaient le plus souvent isolés du monde, parfois à des kilomètres au large des côtes, pendant des semaines, voire des mois. Leur quotidien consistait à entretenir le feu et les mécanismes du phare, à surveiller les conditions météorologiques et à signaler les dangers. Par tous les temps – tempêtes, brume notamment – il leur fallait s’assurer que le feu reste allumé et son rythme inchangé.

La vie de gardien pouvait être austère : postes reculés, confort spartiate, communications difficiles avec la terre ferme. Sur les phares de haute mer, qualifiés en Bretagne d’« enfer » (comme Ar-Men ou La Jument), l’isolement était extrême et les relèves parfois retardées de plusieurs jours par la météo. L’automatisation des phares au XXe siècle a peu à peu sonné le glas de ce métier. Dans les années 1970, en France, on cessa de remplacer systématiquement les gardiens partants à la retraite et les formations cessèrent dans les années 1990. Le métier disparut officiellement en 2019, avec le départ à la retraite d’Henri Richard, dernier gardien du phare du Cap Fréhel.

Néanmoins, le retour des gardiens à bord des phares isolés en mer ou sur des îles, pour assurer leur entretien tout en tenant compte des conditions modernes, reste une option à considérer. Cela pourrait éviter des coûts élevés à long terme, liés à leur abandon.

Le phare de Tévennec situé en Bretagne
Le phare de Tévennec situé en Bretagne.

Mythes, légendes et mystères autour des phares

La nature isolée et austère des phares a donné naissance à de nombreuses énigmes. L’une des plus célèbres est sans doute celle des îles Flannan en Écosse. En décembre 1900, sur le phare d’Eilean Mòr, les trois gardiens en poste (Thomas Marshall, James Ducat et Donald MacArthur) disparaissent inexplicablement. Le 26 décembre, le bateau de relève découvre le phare désert, portes fermées, horloge arrêtée – mais aucune trace des hommes. Leur sort reste un mystère complet : aucune dépouille ne fut jamais retrouvée. L’enquête officielle conclut prudemment qu’une vague les aurait emportés alors qu’ils sécurisaient du matériel sur la plateforme inférieure. Pourtant, l’absence de preuves tangibles a alimenté pendant plus d’un siècle toutes sortes de spéculations : certains y ont vu l’oeuvre de créatures marines fantastiques, d’autres un rapt surnaturel, ou encore un accès de folie meurtrière suivi d’un suicide. Cette histoire dramatique, popularisée par des poèmes et des romans, illustre l’aura de mystère qui entoure parfois la vie des gardiens de phare.

Au-delà des faits divers, de nombreux phares sont au cœur de légendes et croyances locales. Le phare de Tévennec, implanté sur un rocher isolé du Raz de Sein en Bretagne, est un cas emblématique de phare réputé hanté. Dès sa mise en service en 1875, ce petit phare a acquis une sinistre réputation : selon les gardiens qui s’y sont succédé, on y entendrait la nuit des voix fantomatiques étranges, cris de terreur ou rires démoniaques, leur ordonnant de partir. La psychose fut telle qu’en à peine quelques décennies, plusieurs gardiens affectés à Tévennec perdirent la raison ou trouvèrent la mort. Dès 1910, le phare ne trouvant plus de gardiens a été automatisé.

Le phare de Tévennec situé en Bretagne
Le phare de Tévennec situé en Bretagne.

Les défis contemporains de la conservation des phares

Avec la fin de la présence des gardiens, de nombreux phares se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, notamment les phares en mer. L’absence d’entretien a entraîné, dans certains cas, une dégradation accélérée des intérieurs et des structures. Par ailleurs, les phares subissent de plein fouet les effets de conditions agressives telles que l’extrême humidité, la salinité, le vent et les vagues de tempête pour les phares en mer. Le recul du trait de côte menace directement des édifices bâtis sur le rivage sableux : ainsi, en Charente-Maritime, l’érosion de la côte sableuse a rapproché l’océan à seulement 150 m du phare de La Coubre, si bien que l’État envisage désormais de démolir cet édifice. Cependant, des études montrent que le trait de côte aurait atteint sa limite d’érosion annonçant un possible retour de son engraissement1.

Conscientes de cet enjeu, des initiatives publiques et privées tentent de sauvegarder les phares historiques. En France, une association nationale dédiée – la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises (SNPB) – a été fondée en 2002 pour plaider en faveur de la préservation et de la restauration des phares français (voir encadré).

Les projets de reconversion de phares ne manquent pas, certains alliant même préservation et développement économique local. Le phare de Kerbel, dans le Morbihan, en est une illustration souvent citée. Mis en service en 1913, ce petit phare côtier gardé durant 47 ans par Honorine Le Guen, première et certainement seule femme à avoir occupé une telle fonction en France, pour un phare de cette catégorie, a été acheté en 2003 par Daniel Jégat, patron d’une entreprise de bâtiment. Transformé en gîte de luxe, puis revendu en 2018, il est possible d’y louer une chambre aménagée à la place de l’ancienne lanterne offrant aux visiteurs une vue panoramique à 360° sur l’océan. L’ascension de ses 126 marches mène à un studio confortable, faisant de Kerbel le seul phare de France habitable à son sommet. Enfin, la consécration patrimoniale suprême est arrivée pour Cordouan : en 2021, le « roi des phares » a été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, reconnaissance de sa valeur universelle et encouragement à poursuivre sa conservation. D’autres phares exceptionnels du patrimoine français pourraient suivre.

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1 L’engraissement d’un phare désigne une opération de protection du site contre l’érosion côtière et les assauts de la mer, grâce à des matériaux (sable, béton, etc.).

Visuels : © Adobe Stock, Wikipédia, R. Larvor, A. Makarova