Un patrimoine à protéger, une passion à partager : le phare est magique !
Publié le 30/06/2025
Lorsqu’on parle des phares, on pense immédiatement à ces sentinelles de pierre défiant vents et marées. Mais derrière ces monuments majestueux, il y a des hommes et des femmes qui se battent pour leur préservation. Nous avons rencontré Marc Pointud, président de la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises, expert reconnu du monde maritime et chevalier du Mérite Maritime. Passionné et engagé, il nous livre son combat pour la sauvegarde de ces témoins du passé, leur redonner une seconde vie et les transmettre aux générations futures.

À la découverte de l’association et de son fondateur
Bonjour Marc. Vous êtes un véritable passionné de l’univers marin et expert reconnu dans le domaine. Pourquoi cet amour pour la mer et d’où vient-il ?
Je ne suis pas né au bord de l’océan, pourtant, j’ai passé une grande partie de ma vie en mer. Pendant une quinzaine d’années, j’ai formé des chefs de bord à la voile, naviguant presque toute l’année avec l’association Jeunesse & Marine. En parallèle, mon métier m’a amené à me spécialiser dans le patrimoine maritime, à être expert dans les ventes de collections privées et publiques d’objets marins, dans l’artisanat maritime et dans l’histoire de la mer. J’ai ainsi développé une sensibilité particulière pour les phares et leur histoire, qui mêlent prouesse technique, aventures humaines et héritage industriel. J’aime découvrir des patrimoines que personne n’a encore jamais explorés !
Comment est née la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises et quelle est sa mission ?
L’association a vu le jour en 2002, lorsque nous avons constaté l’état préoccupant de nombreux phares, faute de moyens pour leur entretien et en raison d’un oubli progressif. Le problème était encore plus criant pour les phares en mer, délaissés après le départ de leurs gardiens dans les années 90. Les phares sont bien plus que de simples outils de navigation. Ils racontent une histoire, témoignent d’un savoir-faire unique et ont marqué des générations entières de marins et de gardiens. Les phares ont aussi été l'un des grands instruments de la politique industrielle de l’hexagone au 19e siècle. La France, berceau de la lentille de Fresnel qui équipe les phares du monde entier, ne pouvait laisser ce patrimoine se délabrer sans réagir. Il était donc de notre devoir de ne pas les laisser se détériorer.
Comment l’association a-t-elle évolué ?
Il y a deux grandes périodes pour l’association : une première période de 2002 à 2009, marquée par la contestation et la dénonciation de la situation, relayée par les médias. En 2009, notre participation au Grenelle de la Mer a été une étape clé.
Lors de cette rencontre, nous avons présenté trois revendications essentielles. Premièrement, nous avons plaidé pour que l’ensemble des phares français soit officiellement considéré comme un patrimoine maritime national et qu’il ne puisse plus être vendu comme de simples infrastructures obsolètes.
Ensuite, nous avons proposé que les phares soient ouverts aux visiteurs afin de sensibiliser le grand public à leur histoire et de générer des revenus pour leur conservation. C’est en 2011 que les phares situés à terre ont commencé à générer un intérêt financier non négligeable pour les communes avec leur ouverture au grand public. Il faut savoir que même les plus petits d’entre eux peuvent générer jusqu’à 30 000 à 50 000 visiteurs chaque été. Pour les plus connus, nous pouvons compter jusqu’à 200 000 visiteurs à cette même période. Le phare des Baleines, à la pointe ouest de l’île de Ré, est, à ce jour, le plus visité en France.
Au total, environ 1 000 000 de personnes visitent des phares chaque été. C’est un patrimoine qui génère beaucoup d’argent mais qui, malheureusement, bénéficie de très peu de retombées financières pour son entretien et sa restauration. Pour les phares en mer (ils sont environ quarante en France à être considérés comme importants1), très soumis aux éléments, vous imaginez bien que c’est plus difficile d’y accéder. Pourtant, ce sont eux qui constituent l’imaginaire des phares et font rêver.
Enfin, nous avons demandé que l’entretien technique (toutes les opérations nécessaires pour assurer leur bon fonctionnement et leur sécurité, NDLR) des phares soit dissocié de leur gestion patrimoniale (bâtiments, objets mobiliers/techniques et biens immatériels comme la mémoire des gardiens…).
Grâce à ces démarches, de nombreux phares ont été classés monuments historiques entre 2010 et 2020. Je pense particulièrement au phare du Planier, au large de Marseille, entièrement anéanti par les Allemands en 1944, puis reconstruit et automatisé en 1986. Des logements ont été construits au pied de ce phare et abandonnés à la suite du départ des gardiens. Ce phare a fini par être classé monument historique en 2012. Cependant, être classé ne signifie pas automatiquement bénéficier de financements pour l’entretien et la restauration. Le défi reste donc entier : trouver des solutions durables pour financer la conservation de ces structures emblématiques.
Les phares en quelques chiffres
- 124 phares installés le long du littoral métropolitain
- 32 phares en mer (hors Tévennec)
- 30 phares privés désaffectés
Quels sont aujourd’hui vos grands enjeux ?
Nos objectifs sont doubles. D’une part, et cela depuis vingt-trois ans, nous voulons structurer la gestion de ce patrimoine, réparti sur l’ensemble du littoral, de Dunkerque à Bonifacio en passant par l’Outre-mer. Chaque phare est unique, mais tous participent d’un même ensemble, à l’image du Conservatoire du littoral qui protège nos côtes depuis cinquante ans.
Nous militons donc pour la création d’un Conservatoire national des phares, financé en particulier par la mutualisation d’une fraction des revenus issus des produits retirés de leur exploitation (visites, etc) soit près de cinq millions d’euros annuels. Un fonds qui serait géré officiellement par l’État. Ces recettes permettraient d’entretenir notamment les phares en mer, souvent oubliés car inaccessibles, pourtant essentiels à l’imaginaire maritime. Ce sont eux qui alimentent l’envie de visiter ceux à terre. C’est un enjeu difficile que nous menons maintenant depuis plus de vingt ans.
Quelles ont été les principales actions menées ces dernières années ?
Avant 2009, nous avons mené des actions dites « coup de poing », médiatiques, pour sensibiliser et alerter. L’un des événements marquants fut l’organisation d’un pique-nique sauvage sur la plateforme du phare d’Ar-Men, en Bretagne, un symbole fort qui a immédiatement attiré l’attention des médias et des autorités. Le soir même, cet événement était diffusé aux différents journaux télévisés.
En 2011, après le Grenelle de la Mer, nous avons obtenu une autorisation d’occupation temporaire de dix ans sur le phare de Tévennec, afin d’y entreprendre des travaux de restauration (toit, charpente, etc.). Notre objectif était de prouver que des solutions de mécénat pouvaient permettre de réhabiliter ces structures tout en pesant le moins possible sur les finances publiques. En 2015, pour donner de la visibilité à notre mission, nous avons mené une expérience inédite : organiser un séjour en solitaire de 69 jours sur Tévennec. Cette immersion totale a attiré l’attention bien au-delà de nos frontières, avec une couverture médiatique jusqu’au Canada et au Japon. Cet exploit nous a permis d’intéresser des entreprises prêtes à nous accompagner dans le cadre du mécénat.
L’État, reconnaissant notre engagement en faveur de ce patrimoine, a décidé d’engager un vaste plan de restauration des phares en mer. C’est ainsi que Tévennec, inscrit à notre demande en tête de ce plan, a pu bénéficier d’importants travaux de restauration de sa toiture et de sa charpente.

Tévennec : un phare solitaire et fascinant
Ces 69 jours en solitaire ont dû être particulièrement éprouvants. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
C’était extraordinaire ! J’en suis même parti à contrecœur alors qu’il me restait encore de la nourriture pour un mois. Mais il faut savoir récolter les fruits d’une action et être présent pour ceux qui attendent votre retour.
Ce fut une aventure intense, je dirais magique, sans eau ni électricité. Le phare est perché sur un îlot à dix-sept mètres au-dessus de la mer, balayé par les vents. Il inspire silence, contemplation et impose un profond respect. Nous connaissions bien le lieu, ayant séjourné de nombreuses fois pendant quelques jours avec des équipes de l’association au cours de notre occupation de Tévennec. Ce fut un acte fort, pour démontrer la nécessité de restaurer ce phare, abandonné depuis 1910.
Ce phare est réputé hanté. Que pensez-vous de cette légende ?
(Rires) L’histoire de Tévennec, qui est vu comme le seul phare hanté de France, est fascinante ! C’est un rocher isolé, placé sur un passage maritime redouté (entre la pointe du Raz et l’île de Sein) et qui a vu de nombreux naufrages avant la mise en service du phare en 1875. Bien auparavant, les Romains passaient par là pour aller chercher de l’étain aux îles Scilly, en Angleterre, un élément nécessaire à la fabrication du bronze. À cette époque, la navigation était différente : on pratiquait la navigation côtière, faute des moyens de positionnement au large utilisés plus tard.
Pour les Celtes, Tévennec était un lieu de sépulture des marins, et la légende de l’Ankou, messager de la mort, s’est ancrée dans l’imaginaire collectif. Les premiers gardiens et les ouvriers, dans le but d’arrêter le chantier de sa construction, ont raconté des histoires effrayantes, alimentant le mystère. Les gens furent terrifiés. Il ne faut pas oublier que c’était une autre époque : celle où les traditions et les superstitions interféraient avec la religion. Mais croyez-moi, à part quelques cormorans et le bruit du vent, je n’ai rien constaté d’inquiétant là-bas !

De nouveaux projets en perspective
Quel avenir aujourd’hui pour ce phare ?
Son avenir fait partie des projets à long terme. Il faudra lui offrir une seconde vie en le transformant en résidence pour artistes et lieu de ressourcement. Nous recherchons des partenaires pour mener à bien ce projet ambitieux et insolite. Et cette année marque un événement particulier : les 150 ans du phare !
Pour terminer, avez-vous des prochains défis à nous partager ?
Nous sommes partenaires du lancement d’un grand concours destiné aux écoles et aux étudiants en architecture. L’idée est de permettre à de jeunes architectes de proposer des projets d’aménagement pour une dizaine de phares, tout en respectant le patrimoine. Ce concours se clôturera par un événement et une remise de prix d’ici la fin de l’année. Les phares sont bien plus que des tours de pierre surplombant la mer. Ce sont des témoins de notre histoire, des sources d’inspiration et des lieux d’exception à préserver pour les générations futures. Nous continuerons à nous battre pour qu’ils brillent encore longtemps sur nos côtes. Affaire à suivre…
Si vous souhaitez contribuer à la sauvegarde de ce patrimoine, plus d'info : https://www.pharesetbalises.org/participer
Le saviez-vous ?
La lentille de Fresnel, une lentille optique à haute capacité de focalisation, a été inventée par l’ingénieur français Augustin Fresnel en 1822. Cette première grande avancée technique du Service des phares et balises a révolutionné l’éclairage des phares en augmentant considérablement la portée de leur lumière. Grâce à sa structure en anneaux concentriques, elle permet de concentrer et de diriger le faisceau lumineux sur de longues distances. Aujourd’hui encore, de nombreux phares à travers le monde utilisent ce système pour guider les navigateurs.
Lire aussi : L’histoire fascinante des pharesObtenir mon Tarif d'assurance Plaisance
1 Importants selon les critères patrimoniaux suivants : situation, ancienneté et histoire du chantier. Ici, il ne s’agit pas seulement de phares, mais aussi de feux et de grandes tourelles en mer (ex. Birvideaux, Corn-Carhai, etc.), NDLR.
Visuels : © SNPB, Charles Marion