Renaud Lavillenie, d’une piste à l’autre

25/03/2024 Par David Dumain

En cette année 2024 où les JO se tiendront en France comme cent ans plus tôt, nous avons rencontré Renaud Lavillenie. Le médaillé d’or aux JO de Londres en 2012 se livre sur sa passion de la moto – moins connue du grand public – qui a contribué à ses exploits. Témoignage d’un champion en lévitation.

Renaud Lavillenie et Stéphane MézardRenaud Lavillenie avec Stéphane Mézard lors des 24 Heures Motos 2014.

Renaud, est-ce que tu peux nous dire où en est ta préparation et quelles sont les conditions pour te qualifier pour ces JO ?

Je suis en pleine reconstruction, puisque j’ai été opéré il y a à peine plus de cinq mois du tendon ischio-jambier (pour faire simple, c’est celui sur lequel on s’assied tous, situé dans la fesse). Il était au bord de la rupture et j’ai dû passer par la case chirurgie. Heureusement, ça fait un moment que je cours à nouveau et il faut que je prenne le temps de tout remettre en place. Si tout se passe bien, je devrais retoucher une perche en avril et j’avoue que ça fait des mois que j’attends ça.

Concernant le process, on a un minima pour se qualifier, une hauteur de 5,82 mètres qu’il faut franchir sur une compétition officielle, et on a jusqu’au 30 juin pour le faire. Le concours olympique de perche aura lieu les 3 et 5 août, donc cette sélection se passera juste un mois avant, afin de sélectionner les athlètes les plus performants du moment. Mon mois de juin va être centré sur la compétition, pour remplir ce premier objectif qui est de me qualifier. Après, je ferai de nouveau partie des athlètes français qui représenteront notre pays à quelques kilomètres d’ici.


Tu n’es pas seulement un athlète, mais aussi un véritable pilote. Peux-tu nous raconter comment, entre ton titre olympique et ton record du monde, tu as réussi à boucler les 24 Heures Motos ?

J’ai toujours été passionné par la moto, j’ai toujours été attiré par ça. D’ailleurs, mon premier vrai moyen de locomotion ce n’était pas une voiture, mais une petite 125 Suzuki. C’est un choix de vie qui m’est propre et qui m’a permis de m’évader, de me libérer à des moments-clés, notamment celui que vous évoquez. Je pense qu’on est tous d’accord pour dire que quand on fait de la moto, on pense à autre chose et ça fait du bien. Quand on passe plusieurs mois à traverser le monde entier pour des compétitions tous les week-ends, avec des conférences de presse, des obligations pour les partenaires et des entraînements, à un moment donné, on sature.

Je me suis retrouvé dans une situation où une journée sur circuit me faisait plus de bien que deux semaines au soleil avec mes tongs et mon maillot de bain. C’est particulier mais ça me correspond. Je me suis donc autorisé à intégrer la moto dans mon quotidien sur des périodes choisies. Il est évident que je n’allais pas partir faire de la moto sur piste quelques jours avant un championnat. Il me faut le temps de me remettre s’il m’arrive quelque chose. Quand j’ai eu cette chance, même si je m’en suis donné les moyens, de gagner la plus belle des compétitions au monde et de remporter une médaille d’or olympique, ça m’a permis aussi de me libérer d’un certain poids, pour ne pas dire que je me sentais presque invincible. J’ai donc commencé à imaginer aller plus loin côté moto, et comme mes chronos progressaient, j’ai sérieusement envisagé de m’engager aux 24 Heures du Mans Motos. J’avais le niveau suffisant pour me qualifier, et c’est ce qui s’est passé.

Renaud Lavillenie sur la Suzuki AZ Motos-AprilAu Mans avec le numéro 63, comme le département de sa région de cœur, le Puy-de-Dôme.

Mais n’est-ce pas risqué d’entreprendre une course de vitesse en pleine carrière d’athlète ?

J’ai aussi toujours été fasciné par la vitesse, la prise de risque. Ma discipline, la perche, est aussi une discipline très risquée, où on se propulse à plus de 5 mètres de hauteur. J’ai donc cette habitude de prendre des risques au quotidien dans mon sport et le parallèle avec la moto était tout trouvé. Après, je cherche à me dépasser tout en visant à maîtriser ce risque ou en tout cas à le minimiser. C’est aussi un moyen de m’évader. Chacun prend sa dose de plaisir et de liberté comme il l’entend et pour moi, c’est la moto. Quand je me suis retrouvé à partir dans un délire assez fou de tenter de faire les 24 Heures du Mans alors que je venais d’être champion olympique, je me suis rendu compte que la moto c’était au-delà de la liberté que ça me procurait, mais que cela correspondait aussi à mon état d’esprit.

J’aime bien raconter qu’entre mon titre olympique au mois d’août 2012 et mon record du monde à la perche en février 2014, j’ai bouclé les 24 Heures du Mans en septembre 2013. Je ne sais pas si je peux dire que d’avoir fait cette course m’a permis de battre le record du monde, mais je sais que ça m’a donné une certaine dose d’envie et que quand je suis revenu du Mans, j’étais à bloc dès le premier jour d’entraînement parce que j’avais rechargé toutes mes batteries. C’était quelque chose de très important, même si c’était dur de le faire accepter par ma famille et mon entourage parce qu’on est encore sur des préjugés.


Si tu devais choisir entre la moto et le saut à la perche ?

La moto fait partie de ma vie, comme je l’ai dit, mais je choisirais la perche. Heureusement, je ne suis pas tenu de choisir... (Rires) Je pense que les deux sont vraiment indissociables de mon histoire. Tout le monde ne fonctionne pas comme ça, mais c’est mon histoire et ça a fonctionné comme ça pour moi. Je suis très fier d’avoir relevé des défis qui étaient presque inimaginables pour le commun des athlètes parce qu’à date, je pense être le seul champion olympique à avoir bouclé les 24 Heures du Mans Motos et donc c’est une petite fierté.

En tout cas, c’est sûr que la moto n’a pas été néfaste dans ma recherche de performance pure et surtout, cette pratique m’a permis de me libérer à de nombreuses reprises. Il y a des moments où la pression monte dans mon sport avec les enjeux, j’ai des milliers de pensées qui me traversent la tête, des bonnes et des mauvaises. Il suffit alors que je mette un casque et que j’aille me balader sur une belle route d’Auvergne ou sur un circuit pour m’aérer l’esprit, me ressourcer. C’est ce genre de choses qui m’ont permis de repousser mes limites, de gérer les périodes de stress en gardant la concentration nécessaire, parce qu’on gère mieux les choses quand on prend du plaisir. C’est pour cette raison que la moto ne m’a jamais quitté, y compris dans les périodes compliquées.

Renaud Lavillenie sur la Yamaha MT-09Renaud en action au Bol d’Argent 2016 avec le numéro 616, comme le nombre de centimètres du record du monde de saut à la perche qu’il détenait alors.

La moto, comme la perche, sont des sports qui sont inégalement diffusés dans les médias. Quelle est ton opinion sur cette exposition médiatique de tes deux sports fétiches ?

Pour voir du saut à la perche dans les médias, il y a les Jeux olympiques, et puis après, il faut gratter. Il y a aussi des diffusions sur les plateformes privées, mais ce sont les réseaux sociaux qui nous alimentent. Je pratique un sport dont la médiatisation n’est pas très accessible. Il faut donc se battre, et ce sont nos performances qui vont nous permettre d’avoir un peu plus de visibilité, un peu plus d’audience. Quand je vois les chiffres de la moto, ça fait envie, on aimerait bien les avoir en athlé.

Après, on sait que ce ne sont pas les mêmes audiences, les mêmes émotions. Je me retrouve dans le consommateur qui fonctionne avec plusieurs écrans. On a une façon différente de voir les choses, en ne sélectionnant que les temps forts plutôt que de regarder un événement sur la durée. Pour avoir fait les 24 Heures Motos, je trouve qu’il faut être vraiment passionné pour tout suivre. Cela dit, je trouve que le sport moto prend de plus en plus de place, parce qu’il y a de plus en plus de plateformes qui le propose. Après, on en veut toujours plus, mais l’un des enjeux est de toucher le public jeune, davantage orienté vers les sports collectifs et les événements majeurs. Pour cela, il faut des champions, c’est évident. Nous en athlé, en ce moment on galère un petit peu, et ça ne fait pas trop vendre. Il faut que des exploits soient réalisés sur le terrain pour les faire vivre à la télé.


Une fois ces quatrièmes olympiades accomplies, est-ce qu’on peut t’imaginer au guidon d’une moto pour une compétition ?

Ça fait partie de mes plans d’après, je ne vous le cache pas. J’ai mis un coup d’arrêt sur la compétition moto après les Jeux de Rio, mais ça reste dans un coin de ma tête... Je peux me faire plaisir au guidon pour au moins une ou deux saisons, mais je n’ai encore aucune idée de la discipline et de la machine avec laquelle je m’engagerai. Je vais voir ce qui s’ouvrira à moi, mais pourquoi pas retenter l’expérience des 24 Heures, ou peut-être changer d’endroit et faire le Bol d’Or, que je n’ai fait qu’en remplaçant ?

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Visuels : © Jean-Aignan Museau, David Dumain, DR