Road trip moto au Moyen-Orient : Jour 10, la porte du Levant
Publié le 10/05/2022• Par David Dumain
C’est à Beyrouth que débarque le jeune Thomas Edward Lawrence en 1909 pour la première de ses nombreuses incursions en Orient, où il effectuera plus de 1000 miles à pied en trois mois, visitant notamment le château de Marqab où sont passés Sylvain Tesson et ses compagnons à moto, 113 ans plus tard.
Fin de l’aventure où débuta celle de Lawrence. Dans le deuxième des 122 chapitres qui composent les « Sept piliers de la Sagesse » paru il y a exactement un siècle en 1922, Lawrence essaie de définir la vaste zone arabe qui « à une époque signifiait un Arabesque », et il décrit les six grandes villes de la Syrie de l’époque : Jérusalem, Beyrouth, Damas, Homs, Hama et Alep, qui selon lui forment des entités avec chacune sa personnalité, sa manière d’être dirigée, son opinion publique.
La ville qu’il décrivait comme « neuve » et « levantine » par sa prospérité au début du XXᵉ siècle a subi bien des outrages à la fin de celui-ci avec la guerre civile qui ravagea le Liban entre 1975 et 1990. « En raison de sa position géographique, en raison de ses écoles et de la liberté engendrée par ses communications avec les étrangers, Beyrouth comportait avant la guerre (Lawrence parlait de la Première Guerre mondiale) un noyau de gens parlant, écrivant, pensant comme les Encyclopédistes doctrinaires qui avaient frayé la voie de la Révolution en France. À cause d’eux, de la richesse de la ville et de sa voix excessivement forte et vive, il fallait compter avec Beyrouth ».
Des mots qui sonnent aujourd’hui comme un lourd présage annoncé par Lawrence dans une partie du monde constamment tiraillée par ses influences culturelles, traditionnelles et religieuses. C’est dans l’ancienne Béryte, capitale d’un état libanais créé en 1920 et ayant repris son indépendance à la France en 1943, que se conclut donc l’aventure de Sylvain l’écrivain, Thomas le photographe, Clément le caméraman, accompagnés de François l’archéologue et Mahmud le « fixeur » local. Beyrouth, décrite par Lawrence d’Arabie comme un « écran levantin chromatique » qui « formait la porte de la Syrie » dans « Les Sept Piliers de la Sagesse ».
Cent ans après la parution de l’ouvrage culte de Lawrence d’Arabie qui n’a pas quitté la poche de Sylvain Tesson, celui-ci prépare un chapitre additionnel à l’ouvrage « En Avant, Calme et Fou » illustré par les photos de Thomas Goisque. Dans la première édition, qui avait rencontré un grand succès, il présentait sa démarche ainsi que celle de ses compagnons d’aventure, sur les routes du monde entier : « Pourquoi avions-nous pris la route ? Nous étions de gentils garçons, et bien élevés avec cela. Nous avions fait du latin, pris des leçons de piano. Rien ne nous prédisposait à enfourcher des motocyclettes, la main droite sur la poignée des gaz. Certes, on avait entendu dans notre enfance qu’il fallait « empoigner son destin ». Quand on est sensible à ce genre d’injonction, il n’y a pas trente-six choix : on saisit une charrue ou bien un fusil de soldat. Nous, nous pensâmes au guidon des motocyclettes. Et très vite, nous comprîmes que rien ne valait de se tenir assis sur la selle, pendant des heures, bras tendus, regard fixe, torse droit, immobile, lavé par les rafales. En avant, calme et fou.»