Cap Optimist : 8000 km dans le Pacifique
à la seule force des bras
Publié le 22/08/2023
Six spécialistes du sauvetage en mer ont traversé l’océan Pacifique entre Lima au Pérou et Moorea en Polynésie en prone paddle*, entre janvier et mars dernier. En parcourant 8000 km à la seule force des bras, ces sportives aguerries ont réalisé un véritable exploit. Grâce aux fonds levés lors de cette expédition solidaire, l’association Hope Team East soutient les enfants en lutte contre le cancer et promeut le sport-santé dans les écoles. Alexandra Amand Le Mouël (cheffe d’expédition) et Marie Goyeneche reviennent sur cette aventure.
- Présentation de l'association, ces objectifs et son accompagnement
- La constitution de l'équipe et la préparation de l'aventure
- Les difficultés physiques et morales rencontrées durant la traversée
- L'arrivée à Moorea et les actions locales
- Le retour après l'aventure et projets futurs de l'équipe
- « Paddling for children » : une expédition sportive et solidaire
Emmanuelle, Marie, Margot, Iztiar, Alexandra et Stéphanie (à l’eau) posent au côté les 5 membres d’équipage du catamaran chargés de les assister durant leur aventure dans l’océan Pacifique.
Cette aventure visait à lever des fonds pour financer les programmes d’accompagnement d’enfants malades de Hope Team East. Pouvez-vous nous présenter cette association ?
Alexandra : Je travaille dans la gestion de projets sportifs depuis une vingtaine d’années. J’ai rencontré il y a une douzaine d’années, Stéphanie Geyer Barneix, une sportive de haut niveau qui a survécu à quatre cancers du sein, notamment grâce au sport. À la même période, j’aidais ma mère qui, elle aussi, était atteinte d’un cancer et je me sentais donc très concernée par cette maladie. Avec Stéphanie, nous avons créé l’association Hope Team East en 2015, afin d’aider les personnes atteintes d’un cancer à mieux vivre grâce au sport, notamment pendant leur chimiothérapie.
Stéphanie avait déjà traversé l’Atlantique Nord à la rame en paddleboard en 2009, avec deux autres rameuses. Je l’ai aidée lors de son projet de passage du Cap Horn à la rame en 2015, en négociant notamment les autorisations nécessaires avec l’armée chilienne.
Votre collecte de fonds a-t-elle atteint son but ?
A : En effet. Avec cette aventure, nous avons mis en place un système de mécénat grâce auquel chaque kilomètre vendu rapportait plusieurs dizaines d’euros à notre association. Nous sommes fières d’avoir réussi à vendre l’intégralité des 8 000 km, ce qui nous a permis de collecter près de 480 000 €, dédiés au programme Super Optimist (enfants malades) et aux programmes pédagogiques de prévention sport-santé dans les écoles. L’autre partie des fonds récoltés a été affectée au financement de l’expédition sportive, médicale et scientifique.
De quelle manière accompagnez-vous les personnes pendant leur maladie ?
A : Nous suivons des adultes et des enfants dans plusieurs établissements de santé, avec lesquels nous mettons en place des accompagnements personnalisés « sport et mental », sur plusieurs mois. Nous les accompagnons comme des sportifs de haut niveau, avec du sport et de la préparation mentale. La plupart ne sont pas ou plus sportifs. Cela leur permet de penser à autre chose qu’au traitement, de retrouver confiance en eux, de rompre l’isolement social... Par ailleurs, nous mettons en place des « défis sportifs » dans les écoles pour sensibiliser les enfants à la pratique du sport.
Pourquoi avoir constitué une équipe de 6 personnes pour cette aventure ?
A : En 2004, lorsqu’on a diagnostiqué un cancer à Stéphanie, elles étaient six personnes malades à se serrer les coudes lors de leur chimio et toutes s’étaient fait la promesse d’aller jusqu’au bout de leurs rêves. Cinq d’entre elles sont depuis décédées, à cause de la maladie. Il nous semblait important de réunir à nouveau une équipe de six personnes. Sur cette aventure dans le Pacifique, les six rameuses ont toutes vécu une situation personnelle difficile : la perte accidentelle d’un proche, des violences intra-familiales etc. Pour toutes, le défi a été un exutoire, au-delà de l’exploit sportif.
Comment s’est passée la préparation de l’aventure ?
A : La préparation a duré trois ans. Nous avons choisi le Pérou comme pays de départ, afin de pouvoir rattraper plus facilement les courants favorables pour les rameuses. Le choix de la période était très important, pour échapper aux cyclones et aux intempéries. À l’exception de quelques pluies, nous avons bénéficié d’une fenêtre météo très favorable.
Marie, comment vous êtes-vous retrouvée embarquée dans cette aventure, à seulement 23 ans ?
Marie : Je connais depuis longtemps les waterwomen qui ont effectué la première traversée de l’Atlantique à la rame en paddle, du Canada vers la France, en 2009. Elles étaient mes coachs au club de sauvetage de Capbreton et je rêvais d’accomplir un exploit à leur côté.
Avec Margot Calvet, nous avons suivi leurs aventures au cap Horn, en 2015. Nous avons d’abord intégré l’équipe comme remplaçantes, au cas où l’une d’entre elles se blesserait. Et finalement, en janvier 2022, les filles nous ont annoncé que nous serions partie prenante de l’aventure dans le Pacifique.
Comme les autres rameuses de l’équipe, vous êtes une sportive aguerrie ?
M : En effet, j’ai fait partie de l’équipe de France de sauvetage côtier et j’ai disputé des compétitions internationales.
A : Toutes les rameuses qui sont parties dans le Pacifique sont maitres-nageuses sauveteuses et sont aussi des sportives aguerries, avec de jolis palmarès en sauvetage côtier, notamment des titres mondiaux pour quatre d’entre elles. Si le sauvetage côtier est moins connu en France, c’est un sport professionnel en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Comment vous êtes-vous préparées avant cette traversée ?
M : Sur le plan physique, nous avons bénéficié d’une préparation de haut niveau, une fois par semaine, au CERS (Centre Européen de Rééducation du Sportif) de Capbreton, complétée par une préparation physique individuelle. Nous avons aussi eu un préparateur mental et des séances pour se préparer à la vie en collectivité et aux imprévus inhérents à ce type d’aventures. Nous avons effectué plusieurs traversées test : en octobre 2021, nous avons ramé pendant 5 jours entre Bordeaux et Biarritz par lacs, rivières et océan. Puis en juin 2022, pendant 13 jours, sur 1 800 km, entre Monaco et Athènes, avec un équipage d’assistance. Nous nous sommes préparées aux fortes chaleurs et aux longues expositions au soleil.
Nous avons élaboré avec notre partenaire Roxy une combinaison en Lycra qui devait éviter les irritations et ne pas tenir trop chaud.
Un équipage vous accompagnait à bord d’un catamaran. Quel était son rôle ?
A : Il y avait à bord un capitaine et son second, une ostéopathe, une infirmière médicale et une référente nourriture. Leur mission était avant tout de garder un œil sur les rameuses en permanence, en cas de problème. Elles se relayaient toutes les 3 ou 4 heures.
M : Nous ramions près de la coque du bateau. Pour l’équipe à bord, c’était une surveillance de tous les instants. Elles étaient sécurisées avec un gilet de sauvetage, reliées à la ligne de vie et disposaient d’un sifflet en cas de problème.
Comment s’effectuaient les rotations entre les 6 rameuses ?
M : Les journées se découpaient ainsi : une heure de rame, suivie de 5 heures sur le bateau pour la récupération et les repas, en rotation continue. Les quinze premiers jours ont été les plus difficiles, en ce qui me concerne : au début, il m’arrivait de sauter des repas, tellement j’étais fatiguée et malade… Puis après, on trouve le rythme.
Ramer pendant 8 000 km relève de l’exploit. Cela devait être particulièrement éprouvant ?
M : En effet, mais nous avons eu très peu de blessures. Nous avions un coussin ventral pour limiter la cambrure et nous alternions avec la position assise, pour soulager le dos. Il faisait très chaud : nous avons commencé dans une eau à 25°C et fini dans une mer à 32°C !
Heureusement, nous étions très bien préparées. Pour se désaltérer, nous n’avions que de l’eau désalinisée. Sur le plan mental, cela a été parfois très dur.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
M : L’une des difficultés, c’était lorsqu’il fallait passer le relai à une autre rameuse. Celle-ci descendait dans un kayak, avant de prendre la place de la rameuse qui était à l’eau. Lorsqu’il y avait du vent, de la houle ou des grosses vagues, les transferts devenaient très délicats.
Nous avons dû arrêter de ramer une fois, car la mer était trop agitée et les relais devenaient trop compliqués. À cause de la hauteur des creux, on risquait de prendre le canoë sur la tête.
Et pour la nuit, comment cela se passait-il sur l’eau ?
M : Nous avions des spots lumineux à l’arrière de la planche, pour être bien visibles de l’équipage, ainsi que des lumières dans le dos. Les côtés du bateau étaient éclairés. Les nuits sans lune étaient bien plus compliquées, car on voyait moins bien et on perdait nos repères. C’est aussi pour cette raison que plusieurs d’entre nous ont eu le mal de mer.
Aviez-vous la possibilité de communiquer avec vos proches et vos familles ?
M : L’isolement est difficile, au large. Garder le contact avec nos proches était très important pour tenir. Nous avions essentiellement des échanges par mail, grâce au satellite, ainsi que par messages WhatsApp, sur des plages horaires limitées, et nous avions droit à 4 minutes d’appel par mois. Nous avons également échangé avec des écoles et des entreprises partenaires.
Vous avez sans doute dû faire face à des conditions parfois assez hostiles. Avez-vous croisé beaucoup de requins, par exemple ?
M : Nous n’en avons croisé que très peu. En revanche, nous avons ramé pendant 80 jours au milieu de bancs de poissons volants, en particulier la nuit… La lumière devait les attirer. Nous nous efforcions d’éviter qu’ils nous percutent en pleine figure… Nous nous sommes également retrouvés dans des bancs de physalis, des méduses très urticantes.
Certaines rameuses en ont d’ailleurs encore les traces sur le visage. Nous avons vu trois orques, des cachalots et des dauphins, surtout lors de l’arrivée à Moorea. Par ailleurs, nous avons observé la présence de nombreux bateaux de pêche chinois, de véritables « monstres marins » qui vident la mer… C’est un peu triste.
Comment s’est passée l’arrivée à Moorea ?
M : Nos proches avaient fait le déplacement pour nous accueillir à notre arrivée en Polynésie et fêter ça avec nous. Plusieurs familles d’enfants malades étaient également présentes, notamment sur l’eau, pour accompagner les rameuses et l’équipage.
La traversée était aussi l’occasion d’organiser des actions sur place, au départ au Pérou et à l’arrivée en Polynésie Française. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
A : En amont du projet, nous avions rencontré les ministres de la Santé et de l’Éducation de France et du Pérou, qui nous ont aidées et encouragées. Nous avons aussi rencontré des acteurs gouvernementaux en Polynésie et des écoles un an avant notre départ, ce qui nous a permis de mettre en place des défis sportifs dans plusieurs écoles, à Moorea et à Tahiti, ainsi qu’à l’hôpital de Papeete.
Au retour, comment se sont passés la récupération et le retour sur terre ?
M : On a eu davantage de douleurs physiques une fois rentrées sur la terre ferme. Il a fallu entraîner à nouveau le bas du corps, très peu sollicité pendant la traversée. Comme nous n’utilisions que les bras, nous n’avons marché pendant trois mois que l’équivalent de 15 km… D’un point de vue plus général, le retour n’était pas forcément évident car j’ai dû mettre mes études et mon travail entre parenthèses cette année, pour le projet.
Quels sont vos projets ?
A : Nous travaillons sur un projet de documentaire avec notre cameraman, ainsi qu’avec Jessica et Anika Horn, les filles de Mike Horn qui sont aussi marraines de l’association. Nous poursuivons nos conférences avec l’association et nous avons aussi un projet de livre : « Carnets de bord ». Nous continuons de rencontrer des enfants dans les écoles pour les sensibiliser au sport-santé : nous en avons déjà rencontré plus de 1 600.
M : Après un projet aussi ambitieux, il est difficile de trouver un nouveau défi à la hauteur ! Pour l’instant, nous nous concentrons surtout sur le partage autour de ce que nous avons vécu.
Pour avoir plus d’informations sur les actions mises en place par Hope Team East ou soutenir l’association, rendez-vous sur https://www.capoptimist.com/
Retrouvez la composition de l'équipe de rameuses au complet ici.
* Le prone paddleboard est une planche sur laquelle on se propulse avec les bras, à genoux ou allongé. Il s’agit aussi d’une discipline sportive venue des États-Unis et d’Australie, inspirée des planches utilisées par les « lifeguards » pour récupérer les baigneurs en difficulté.
« Paddling for children » : une expédition sportive et solidaire
Cette aventure sportive hors norme avait avant tout un but humanitaire. Grâce à cette traversée du Pacifique, l’association Hope Team East a pu lever des fonds pour promouvoir le sport-santé auprès des jeunes et aider les enfants qui luttent contre des cancers.
- Programme Super Optimist 2022-2024
- Accompagnement de 30 enfants et adolescents en cours et fin de traitement vers la réalisation d’un défi sportif.
- Installation de 10 équipements sportifs dans des établissements de santé en France.
- Actions au Pérou et en Polynésie
- Mise en place du programme pédagogique « Un défi dans mon école » dans des écoles en France, en Polynésie et au Pérou. Plus de 1 600 enfants ont déjà participé.
- Rencontre et partage entre les rameuses et les enfants en traitement de cancer, hospitalisés au centre hospitalier Pellegrin à Bordeaux, à l’INEN (Centre de traitement cancérologie du Pérou) et à l’ICPF (Institut du Cancer en Polynésie Française), afin de construire des actions concrètes autour du sport, de la santé et du cancer.
- Inauguration de totem au sein des établissements de santé avec rencontres des équipes médicales, notamment à Bordeaux, mais aussi avec l’ICPF avec un totem Hope Team East, mis à disposition au cœur des services pédiatrique et d’oncologie du Centre Hospitalier de Polynésie française.
L’expédition en chiffres
- 8 000 km parcourus entre Lima (Pérou) et Moorea (Polynésie française), entre le 7 janvier et le 25 mars 2023.
- 80 jours, 10 heures et 43 minutes : durée de l’aventure en mer. 3 ans de préparation.
- 10 expéditions organisées en amont de « Paddling for children », dont plusieurs expéditions tests.
Visuels : © Jérémie Gabrien / Hope Team East