Éric Dargent, surfeur rescapé et engagé
Publié le 23/07/2025
Victime d’une attaque de requin en 2011 sur l’île de La Réunion, Éric Dargent aurait pu tout arrêter, mais c’était sans compter sur sa passion pour le surf et une rage de vivre remarquable. Fondateur de l’association Surfeurs Dargent, co-créateur d’une prothèse adaptée aux sports de glisse et vice-champion du monde de para surf, l’athlète milite pour un sport plus inclusif. Il nous raconte son histoire et ses engagements !

Un parcours façonné par la mer
Bonjour Éric, pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a mené au surf ?
J’ai grandi au bord de la Méditerranée, à Martigues (13), sur la Côte Bleue. Mes parents nous emmenaient souvent à la plage, le soir après le travail, les week-ends et pendant les vacances. J’ai donc passé une grande partie de mon enfance au bord de l’eau, et très vite, dans l’eau. À sept ans, j’ai eu mon premier bodyboard : j’ai commencé à prendre mes premières vagues, et, à partir de là, je n’ai plus arrêté. À treize ans, j’ai acquis ma première planche de surf et je me suis intéressé à d’autres sports comme la planche à voile ou le funboard.
Plus tard, j’ai commencé à voyager avec des amis pour découvrir d’autres spots : la côte Atlantique, le Maroc, l’Espagne, l’Indonésie, les Caraïbes… Le surf est devenu une vraie passion. Tout ce que j’ai construit, que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle, s’est articulé autour de ce besoin d’être au bord de la mer. Quand j’ai choisi de devenir infirmier, c’était aussi en pensant au fait que ce métier me permettrait d’avoir du temps libre pour aller à l’eau.
Un accident qui marque le début d’une nouvelle vie.
Votre vie a basculé après votre accident en 2011. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
En 2011, j’avais envie de changement. J’étais infirmier depuis plusieurs années et j’avais de nombreux amis qui habitaient sur l’île de la Réunion... Ce jour-là, alors que je surfais, un requin m’a attaqué. J’ai très vite compris que j’avais perdu ma jambe et que je me trouvais entre la vie et la mort. Mais je me suis accroché à tout ce qui me faisait vivre : ma famille, mes enfants, mon travail et ma passion du surf. À ce moment, j’avais une rage de vivre que j’ai gardé jusqu’à aujourd’hui.
Les pompiers sont rapidement arrivés, j’ai été hospitalisé et j’ai subi une amputation fémorale de la jambe gauche, au-dessus du genou. C’était le début d’une nouvelle vie, avec la découverte du handicap et de tous les changements que cela implique.
Quels ont été les plus grands défis physiques et psychologiques à surmonter après l’accident ?
Il y en a eu beaucoup. J’avais subi une attaque de requin, alors le fait de retourner à l’eau restait quelque chose de traumatisant... La relation avec le prothésiste a été très intense, durant l’année qu’il m’a fallu pour réapprendre à marcher correctement, je le voyais plus souvent que ma propre femme (rires). Un mois et demi après l’accident, je reprenais les vagues, allongé sur une planche. Ensuite, j’ai rencontré un prothésiste qui m’a permis de tenter le surf debout avec une prothèse. Mais c’était très frustrant car elle n’était pas du tout adaptée, j’ai connu des échecs et des pleurs.
Aujourd’hui, j’ai quarante-sept ans, cela fait quatorze ans que je suis amputé et je continue à apprendre, à évoluer et à adapter mes mouvements. Le handicap, ce n’est pas juste une adaptation physique, c’est un bouleversement global.
Vous êtes retourné à l’eau avant même de pouvoir marcher. Qu’est-ce qui vous a motivé à remonter sur une planche malgré l’amputation ?
C’est cette rage de vivre. Dès l’instant où j’ai compris ce qui m’arrivait, je me suis dit que je voulais continuer à surfer. Le surf, ce n’est pas juste un sport pour moi, c’est un mode de vie, une addiction, une forme de thérapie.
Le lendemain de l’accident, je pensais déjà à comment je pourrais retourner à l’eau. Les semaines suivantes, j’en parlais à tous les médecins, j’effectuais des recherches sur Internet en tapant « amputation fémorale surf » afin d’avoir plus d’informations. Certains me disaient que c’était impossible, qu’il fallait penser à d’autres sports, mais cette passion était plus forte que tout. J’ai rencontré un chirurgien à Marseille (13), qui était lui aussi amputé. Il m’a dit : « Retourne à l’eau, c’est ce qui te fera du bien », et il avait raison. La première fois que j’y suis retourné, j’ai su que la mer serait ma meilleure thérapie.
Avez-vous un moment en mer qui vous a particulièrement marqué depuis l’accident ?
Je me souviens d’un séjour au Maroc, peu après ma reprise. Je surfais avec une prothèse, et des enfants m’ont vu depuis la plage. Ils se sont mis à crier et à courir sur les rochers à chaque vague que je prenais. C’était très fort, une sensation incroyable.
Il y a aussi tous ces moments partagés avec mes enfants. Pouvoir retourner à l’eau avec eux, leur montrer que leur père est toujours présent, que l’on va pouvoir prendre des vagues ensemble, faire des activités physiques. À chaque fois que je retourne à l’eau, je repense au fait que je pourrais ne plus être là, et pourtant, je glisse encore.
Éric Dargent, un palmarès et de la résilience
- 8 x Champion de France ;
- 1 x Champion d’Europe ;
- 2 x Champion du monde par équipe ;
- 4 x Vice-champion du monde.
Une carrière sportive au service d’un engagement
Vous participez à différentes compétitions sportives. Quelles sont-elles ? Et comment les abordez-vous ?
J’ai commencé les compétitions handisports avec le snowboard, mais la mer a vite repris ses droits. C’est en 2015, que les premiers championnats de para surf ont vu le jour. Depuis, j’ai participé à quasiment toutes les éditions. Je suis huit fois champion de France, champion d’Europe, et j’ai terminé quatre fois vice-champion du monde. En 2023 et 2024, j’ai même été sacré champion du monde par équipe avec la France. C’est une immense fierté.
Mon seul regret, c’est que le para surf n’ait pas été retenu pour les Jeux paralympiques. C’est un vrai frein. Cela aurait permis plus de reconnaissance, plus de sponsors. Aujourd’hui, même avec mon statut de sportif de haut niveau, je ne vis pas de ma discipline. Ce que je trouve le plus impressionnant dans ces compétitions, c’est la diversité des handicaps et l’adaptabilité de chacun. L’humain est capable de s’adapter de façon presque surhumaine et de repousser ses propres limites.
Que représentent pour vous tous ces titres ?
Être vice-champion du monde, c’est une grande fierté, mais je ne veux pas que ça s’arrête là. Ce titre, je veux qu’il serve à construire quelque chose, j’ai besoin que mes performances aient un impact. Par exemple, on a réalisé ORA, un film primé dans de nombreux festivals. Ce film a été un moyen de faire passer un message et de montrer ce que l’on peut accomplir.
La compétition, c’est aussi un outil de communication : quand on arrive à ce niveau, cela donne du crédit à nos projets et facilite les partenariats. Et surtout, cela donne de l’espoir. Des personnes peuvent tomber sur des articles ou des vidéos, et se dire : « Moi aussi, je peux y arriver. » La compétition leur montre qu’il est possible de pratiquer un sport avec un handicap.


Des initiatives pour rendre le sport plus inclusif
Vous êtes fondateur de l’association Surfeurs Dargent. Pouvez-vous nous en parler ?
L’association est née après mon accident, grâce à ma cousine qui voulait m’aider. Surfeurs Dargent, c’est un catalyseur d’entraide. L’association œuvre pour le développement de prothèses adaptées aux sports de glisse, sensibilise en donnant des conférences dans les écoles et entreprises et organise des évènements pour accueillir des personnes en situation de handicap et les initier aux sports de glisse.
Qu’ils surfent allongés, à genoux ou debout, les personnes que nous accueillons sentent les bienfaits de l’eau, mais surtout ils se disent qu’ils ont réussi. Et ce sentiment est vital quand on vit avec un handicap. C’est ça un “surfeur dargent” : quelqu’un qui retrouve sa valeur, qui devient fier de ce qu’il est et de ce qu’il fait.
Vous militez pour une meilleure accessibilité du sport pour les personnes handicapées. Quels sont les principaux obstacles ?
Il y a encore beaucoup d’obstacles. Par exemple, depuis les derniers Jeux paralympiques, il existe une prise en charge des prothèses pour la course à pied, mais pas pour les sports de glisse comme le surf ou le snowboard. Pourtant, ces disciplines demandent des appareillages très spécifiques, capables d’encaisser flexions et extensions. Aujourd’hui, une personne amputée qui veut surfer doit encore tout financer elle-même. Il existe bien des alternatives via des associations ou des fondations, mais ce n’est pas suffisant.
Vous avez co-inventé une prothèse adaptée aux sports de glisse, comment cette création a-t-elle été accueillie ?
Je n’étais pas seul sur ce projet, j’ai travaillé durant trois ans avec l’école d’usinage mécanique Adam de Craponne à Salon-de-Provence (13), avec des ingénieurs, des préparateurs d’amortisseurs, un professeur d’usinage mécanique, et un autre sportif amputé, Patrice Barattero, qui pratique le snowboard.
Avant que cette idée prenne forme, nous avions, au départ, proposé ce projet à des industriels, mais ça ne les intéressait pas. Ils trouvaient le projet trop coûteux et pas assez rentable. Quand la prothèse a finalement commencé à fonctionner, elle a intéressé Proteor, une entreprise française, qui a finalisé le projet. Cette collaboration a donné naissance à Easy Ride, une prothèse pensée pour les sports de glisse, à la fois plus accessible - environ 4 000 euros - et surtout plus efficace. Ce projet est la preuve que l’on peut contourner les obstacles.
L’association Surfeurs Dargent
Le développement du para surf ne peut se faire sans le soutien de partenaires engagés. Vous pouvez soutenir cette démarche et rejoindre l’aventure aux côtés d’Éric Dargent et son association Surfeurs Dargent, qui œuvre chaque jour pour rendre les sports de glisse plus accessibles et inclusifs.
Pour en savoir plus sur l'association : Facebook ou associationsurfeursdargent@gmail.com
Comment voyez-vous l’avenir du surf inclusif ?
Je suis optimiste. Bien que le para surf ne soit toujours pas une discipline paralympique, l’inclusion progresse. Des associations comme Vague d’Espoir, Handisurf, ou d’autres qui accompagnent les personnes en situation de handicap, se multiplient. Mais au-delà du para sport, je milite pour le sport pour tous. Handicap ou pas, pratiquer une activité physique, même trente minutes par jour, a un impact immense sur le corps et l’esprit.
Quels sont vos futurs projets ?
J’ai plusieurs échéances sportives importantes : le championnat de France en octobre, suivi, je l’espère, par le championnat d’Europe et le championnat du monde. Mon objectif est clair : décrocher la première place mondiale.
Mais au-delà des titres, je veux continuer à porter des projets utiles et continuer à faire grandir l’impact de ce que l’on construit depuis des années avec Surfeurs Dargent. C’est dans cette logique que je me suis formé et j’ai décidé de créer un centre dédié au sport santé à Martigues qui ouvrira en juin. Il sera ouvert à tous : personnes atteintes de pathologies chroniques, sportifs amateurs, ou simplement ceux qui veulent aller mieux. C’est un projet qui me tient à cœur.
Enfin, quel spot de surf pouvez-vous recommander pour cet été ?
Pour les vacances, je ne conseille pas forcément la Méditerranée - sauf en hiver, quand les vagues sont là. Mais la côte atlantique française est incroyable : de la Bretagne à la Vendée, des Landes au Pays basque, on y trouve des spots magnifiques. Et surtout, je recommande toujours de prendre quelques cours pour apprendre les bases, les règles de sécurité, et commencer du bon pied.
Mais si je devais n’en garder qu’un… ce serait celui devant ma maison, à Martigues. On n’y surfe pas tous les jours, les vagues y sont rares, mais justement, c’est ce qui rend chaque session magique. Quand la Méditerranée se réveille, il ne faut pas louper le moment.

Visuels : © Jérôme Bonelli, Carine Bagnoli