Cap vers la parité : les femmes à la conquête des océans
Publié le 13/10/2025
Depuis 2024, Julie Royer-Coutts est la directrice générale d’OC Sport Pen Duick, spécialisé dans la création de compétitions outdoor, comme la Route du Rhum ou la Solitaire du Figaro Paprec. Pour Cap’Passion, elle nous partage sa vision de l’inclusivité dans le sport et de la place des femmes dans la voile.

Dans l’épisode du podcast « Navigantes » de Tip & Shaft qui vous est dédié, vous avez évoqué votre découverte de la plaisance. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Originaire de Troyes (10), cette connexion avec l’océan n’était pas forcément naturelle, elle s’est développée enfant durant mes étés à la mer avec ma famille de sportifs. À la suite de blessures à répétition, j’ai été contrainte d’arrêter la natation, mon sport de prédilection, et me suis tournée vers la voile.
Ce changement a coïncidé avec mon orientation post-bac. J’ai choisi une école de commerce à La Rochelle (17) dans laquelle j’ai intégré une association étudiante qui participait au Tour de France à la voile. J’ai découvert comment une équipe construit son projet et le défend, c’était passionnant !
J’ai vite ressenti les valeurs de la voile qui font vibrer (le sens de la liberté, la connexion profonde avec la nature, le déplacement vélique du bateau) et la complexité dans ce sport qui est à la fois solitaire et collectif. Le marin est orienté vers la mer et profondément enraciné à terre par son équipe, c’est le pont entre ces deux éléments qui fondent les performances. Ce sont des moments marquants, que j’aime aujourd’hui faire vivre à mes proches.
On estime qu’il y a 7 % de skippeuses présentes sur les grandes courses au large1. Est-ce que cela signifie que la voile laisse encore peu la place aux femmes ?
Ce pourcentage est faible, mais ces dix dernières années ont été marquées par une très grosse évolution avec des signaux très positifs. L’écosystème de la voile au sens large se féminise avec 35 % de jeunes filles et femmes licenciées2.
En revanche, avec 20 % de femmes dans les métiers de l’encadrement fédéral (moniteurs, éducateurs, entraîneurs)3, il y a encore une marge d’évolution. Si l’on veut féminiser la voile et encourager davantage de jeunes filles à se projeter, il est essentiel qu’elles puissent s’identifier à des modèles féminins, sur le principe du mentorat, dès le début.
À l’arrivée de l’adolescence, beaucoup arrêtent leur pratique ou la relègue au second plan pour se tourner vers leurs études. Les garçons, eux, poursuivent et se spécialisent. C’est à cette période que le milieu perd beaucoup d’athlètes féminines. Je pense que l’accompagnement des jeunes filles par des mentors femmes est une des clefs pour les soutenir durant ce moment complexe de leur vie.
Concrètement, comment féminiser la pratique de la voile ?
En tant qu’organisateur, nous nous ancrons auprès des jeunes filles dès la conception de nos villages de course avec les associations locales qui sensibilisent à la féminisation.
Depuis environ quatre ans, on observe beaucoup de nouvelles initiatives de la part des écuries qui favorisent le choix de skippeuses afin de les mettre en avant dans leurs communications. Ces pratiques restent assez nouvelles Il y a aussi la mise en place de quotas par les organisateurs de certaines courses de voile ou au large, afin de favoriser la représentation des jeunes, ou des femmes.
Avec notre partenaire Paprec, depuis 2023 nous avons rendu obligatoire la mixité dans les duos qui participent à la Transat Paprec car nous trouvons cette approche plus pertinente. Les quotas vont permettre l’accès aux femmes à plus de courses, mais une fois le quota atteint, il n’est pas dépassé et des femmes talentueuses ne seront pas au départ des courses. La mixité a des valeurs plus engageantes en termes de féminisation du sport. Dans un duo mixte il y a une complémentarité qui s’articule autour de la personnalité des deux skippeurs et de leurs équipes. C’est super intéressant, il y a beaucoup de belles histoires à raconter !
Je pense qu’en 2027, il n’y aura plus de sujet autour de cela : les profils féminins sont actuellement très recherchés, et le panel de choix de skippeuses s’est élargi.

Comment a été accueillie cette nouvelle obligation de composer un duo mixte pour participer à la Transat Paprec ?
Cette Transat très attendue, est une course bisannuelle bien installée dans le circuit des Figaros. En 2023, l’arrivée de notre nouveau partenaire (Paprec) nous a permis de la redynamiser. Les duos mixtes ont permis de casser les codes en lui apportant un nouveau souffle, mais cette première édition a reçu un recul des participations. Traverser l’Atlantique en vingt jours, en duo sur un bateau de 10 mètres, ce n’est déjà pas simple, et un duo mixte complique forcément l’approche.
La classe Figaro est principalement une classe où on navigue en solitaire. Lorsqu’il s’agit de passer à une course en double, le skipper qui est porteur de son projet doit alors recruter un co-équipier. Avec la mixité, leur choix s’est restreint. Il y avait encore peu de femmes en 2023 et cela changeait les dynamiques de course car un skipper devait choisir une skippeuse avec qui il serait à l’aise pour réaliser cette course.
Nous avons ensuite réalisé deux ans de travail pour lever les réticences. Il a fallu sensibiliser, diffuser l’information et accompagner les marins pour qu’ils se rencontrent et faire émerger des duos. On a identifié deux éléments majeurs qui avaient provoqué la baisse de participation : d’une part, la contrainte de la mixité dans l’organisation des duos, et d’autre part, la crainte de certains hommes de voir leur performance, dans le championnat, impactée en naviguant avec une femme.
En 2025, nous avons doublé le nombre de participations et aujourd’hui, la mixité n’est plus perçue comme une barrière à la participation à la Transat. Maintenant les skippeuses contactent des skippers, ce qui est plus simple. En deux ans, on a réussi à ouvrir le dialogue autour de la complémentarité qu’il peut y avoir entre les hommes et les femmes.
Je pense qu’en 2027, il n’y aura plus de sujet autour de cela : les profils féminins sont actuellement très recherchés, et le panel de choix de skippeuses s’est élargi. On se rend compte que les mentalités ont évolué depuis et que le cheminement a porté ses fruits.
Quand on pense à l’insertion des femmes à haut niveau, on pense aussi à Clarisse Crémer, cette jeune maman qui a dû trouver un nouveau sponsor pour participer au Vendée Globe 2024-25 (L’Occitane en Provence au lieu de Banque Populaire, NDLR.). D’après vous, quel peut être l’impact de la vie de famille dans le parcours sportif d’une femme et comment l’accompagner ?
La question de la maternité dans le milieu de la voile est en retard par rapport à d’autres disciplines comme le cyclisme ou le triathlon, mais c’est un cas particulier car les skippeuses sont cheffes de leur entreprise et portent elles-mêmes leur projet. La maternité est donc souvent un arrêt complet d’activités professionnelles, que ce soit sportif ou organisationnel.
Depuis environ cinq ans, le sport féminin a le vent en poupe et lors des discussions entre sponsors et sportives, les questions liées à la maternité et à la vie de famille sont intégrées très tôt dans le projet sportif. On peut prendre le cas de Rosaline Kuiper, skippeuse pour le team Holcim-PRB, qui a exprimé ses projets à son sponsor. Ils l’ont accompagné en lui trouvant un co-skipper, Nicolas Lunven, qui a concouru pendant la période de sa maternité, ce qui a facilité son retour à la compétition. On a pu la retrouver lors de la dernière The Ocean Race Europe dans la classe IMOCA.
Ce sont des éléments qui sont en très forte évolution, cela reste comme pour toutes les femmes une période complexe à gérer dans sa carrière professionnelle.
Ellen MacArthur est un bout de femme incroyable qui a fait la promotion de notre sport, de la femme, et de l’entrepreneuriat au féminin.
En vingt ans de carrière, avez-vous eu des mentors ou figures inspirantes dans votre parcours ?
Au tout début de ma carrière, j’ai rencontré une femme absolument incroyable, Isabel Genís4 qui m’a fait confiance et m’a prise sous son aile pendant plusieurs années. Elle m’a accompagnée en me faisant découvrir l’organisation de courses, mais aussi sa vision stratégique extrêmement forte et très inspirante. Cette rencontre m’a ouvert énormément de portes, a été formatrice autant sur le plan professionnel, que personnel. Elle a forgé la manager que je suis aujourd’hui.
Peu de temps après, j’ai eu la chance de travailler avec Mark Turner, qui est à l’origine de la création d’Offshore Challenges5. Il était un visionnaire incroyable à tel point que certains pouvaient trouver ses idées farfelues. Je pense que si à l’époque il avait pu écrire un livre sur l’évolution de la course au large, l’implication des sponsors, ou comment ce sport s’est développé, on serait dans le juste aujourd’hui !
C’est d’ailleurs avec Ellen MacArthur qu’il a lancé Offshore Challenges dans les années 90, ce qui a influencé la féminisation de notre groupe dès le départ. En plus d’être une figure majeure dans la voile en général, Ellen est aussi un bout de femme incroyable qui a fait la promotion de notre sport, de la femme, et de l’entrepreneuriat au féminin. Encore aujourd’hui, elle reste un mentor pour notre entreprise.

Parmi les évolutions dans la course au large, quelles sont celles qui vous inspirent le plus ?
Il est vrai qu’on n’est plus à l’ère d’Éric Tabarly, où on savait quand les bateaux partaient, mais pas quand ils arriveraient. Aujourd’hui, les bateaux sont devenus extrêmement technologiques et nous permettent de vivre par procuration la course. Je trouve cela incroyable, nous avons tous des frissons quand on voit ces grands départs !
Cependant, il reste une « dette digitale » dans les courses au large. Comme dans un cockpit de Formule 1, ce serait passionnant de partager les données (physiologiques, techniques ou d’avancées du bateau) avec le grand public. Cela dit, il faut aussi garder cet aspect magique de l’aventure. Tout n’est pas automatique, le marin a beaucoup à faire sur son bateau, c’est ce qui rend notre sport si intense et fait autant rêver les gens. Les sportifs réalisent quelque chose d’extraordinaire lors de ces courses.
D’après vous, quel est le principal enjeu de demain et comment y faites-vous face ?
Le défi environnemental est un enjeu majeur pour nous. Nous sommes depuis longtemps portés par des ambitions très ancrées dans nos valeurs, et on s’investit grâce à une équipe interne dédiée à la RSE.
Lors de nos courses au large, nous collaborons avec des scientifiques de l’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), en leur proposant des projets particuliers. Les marins se rendent souvent dans des territoires peu parcourus et, lors de leur passage, les scientifiques voient l’opportunité d’en apprendre plus sur les courants, la qualité de l’eau, ou la température des océans via le lancement de balises. Nos courses deviennent alors une source de données qui participent à la sensibilisation aux dérèglements climatiques et leurs impacts.
Le mot de la fin : comment, malgré vos responsabilités de dirigeante, continuez-vous à nourrir votre passion pour la mer et les sports outdoor ?
On dit souvent que les cordonniers sont les plus mal chaussés. On travaille au quotidien dans un univers qui est passionnant, mais finalement, on est les moins bien dotés quand il s’agit de pratiquer. Ma passion pour la mer est très présente, même si la pratique de la voile se fait désormais plus rare. J’aime beaucoup le surf, je nage encore souvent, et le fait de vivre au bord de la mer continue de nourrir cette passion, mais désormais d’une autre façon…
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1 Sources projet Young women connexion.
2 Sources enquête réalisée en 2022 par le Pôle ressources national sports de nature (PRNSN).
3 Sources FFVoile 2025 : 201 987 titres (passeport, licence club et pass FF voile) dont 71 075 femmes (soit 35.1%) tous âges confondus.
4 Isabel Genís était une communicante renommée, qui a œuvré sur de grandes compétitions nautiques.
5 Offshore Challenges est l’ancien nom de OC Sport group.
Visuels : © Rémi Lemenicier, Mathieu Rivrin, Georgia Schofield, Vincent Olivaud, photos DR