Interview de Thierry Dubois, spécialiste de la N7
Publié le 19/12/2022• Par Igor Biétry
Les amateurs de bande dessinée et ceux qui se passionnent pour la chose automobile connaissent forcément Thierry Dubois. Illustrateur, dessinateur et scénariste de bande dessinée, il est surnommé Monsieur Nationale 7 depuis ses travaux de recherche sur la fameuse route des vacances.
Devenu un personnage incontournable de la voiture ancienne, Thierry Dubois s’est fait connaître par ses dessins dans l’hebdomadaire « La Vie de l’Auto » et surtout grâce àson travail d’historien sur les routes nationales et particulièrement la N7 pour laquelle il est devenu la référence. Son style graphique s'inspire de l'école belge de la bande dessinée, la fameuse « ligne claire » qui le rend reconnaissable entre tous.
Lorsque 2 passions se croisent
Comment as-tu commencé à te passionner pour les voitures anciennes ?
Parfois la passion commence de façon assez peu glorieuse. En ce qui me concerne mon intérêt pour les véhicules anciens, que ce soient les voitures ou les motos, tenait tout simplement au fait qu’étant jeune, on n’a pas un rond pour en acheter une moderne !
Et pour ce qui est du dessin ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné. Le problème c’est que je n’ai aucun dessin d’enfant parce que ma mère balançait tout au fur et à mesure. Mais lorsque je revois des copains d’enfance, ils me disent tous qu’ils se souviennent me voir dessiner en permanence.
Ça avait d’ailleurs le don d’énerver mes profs parce que lorsqu’ils me disaient : « Dubois, qu’est-ce que je viens de dire ? ». J’avais toujours la capacité de répéter la leçon même si effectivement je griffonnais en même temps sur mes cahiers.
As-tu suivi des études d’arts pour le coup ?
Non pas du tout. Bien que mes parents me laissassent dessiner, ce n’était pas un métier « recommandable ». Il valait mieux avoir un « vrai » métier. J’ai eu un bac B puis je me suis laissé entraîner vers une fac de droit. Je n’ai tenu que deux ans avant de dire stop et de faire des petits boulots. Moi, je voulais avant tout gagner ma vie pour être indépendant.
Je me suis engagé dans l’armée pour trois ans. J’étais sous-lieutenant dans un régiment d’infanterie en Allemagne dans le cadre de la réserve en service actif. J’ai beaucoup aimé ce passage de ma vie, l’encadrement d’une section ou d’une équipe, je suis plutôt bon pour ça.
D’ailleurs, en sortant de l’armée, j’ai travaillé dans l’encadrement, notamment dans la gestion d’un parc de chauffeurs de grande remise et location d’automobiles de luxe. Pour autant, durant toute ces années, je continuais à dessiner.
Comment as-tu fait le grand saut alors ?
À 30 ans, comme j’avais toujours envie de dessiner, que je m’entendais bien avec mon patron, j’ai négocié mon départ. C’était le moment, il fallait que je me lance ! Comme nous étions en bons termes, en fait je continuais à travailler pour lui ponctuellement sur des grosses missions, ce qui me permettait d’appréhender la reconversion plus sereinement.
C’est comme ça que j’ai commencé à vendre mes premiers dessins pour l’hebdomadaire « La Vie de l’Auto ». C’était en 1992, ils cherchaient parmi leurs lecteurs quelqu’un capable de leur fournir un dessin d’actualité toutes les semaines. Je n’ai pas arrêté depuis !
Ta présence dans la presse te fait connaître et te permet de rencontrer d’autres passionnés avec lesquels tu te lances dans de belles aventures…
Effectivement à cette époque-là, j’ai rencontré les personnalités charismatiques de la voiture ancienne dont Marc Nicolosi, ou encore Jacques Potherat. Comme j’étais assez libre dans la gestion de mon temps et que je ne travaillais pas encore beaucoup, j’ai pu faire de la voiture ancienne avec ces messieurs.
C’est un peu plus tard que nous nous sommes rencontrés, toi (Igor Biétry) et moi et que nous avons lancé, « Les Avions de la Route », un faux club, auquel a voulu adhérer le libraire de Toulouse. Le type en question n’était autre que Jean-Claude Amilhat qui est devenu depuis un rédacteur phare du magazine « Auto-Rétro ».
Nous avons lancé ensemble les éditions Drivers. Avec lesquelles j’ai sorti « La Route Paris Côte d'Azur - Petite histoire des Nationales 5, 6 et 7 » en 2003 ; « Rochepot - la vieille Route » en 2005 ; « Sur les traces de François Lecot - 400 000 km en Traction » en 2006 ; « C'était la Route Nationale 7 - La route Bleue - La route Nationale 6 » en 2010.
Ensuite, j’ai bossé pour les éditions Altaya à la réalisation d'une série de 80 fascicules.
Le dessinateur de la route des vacances
Qu’est ce qui t’a donné envie d’écrire et dessiner sur la Nationale 7 ?
Étant parisien et ayant de la famille à Grasse sur la Côte d’Azur, je faisais très régulièrement des allers-retours.
Et puis un jour, je me suis dit que ce serait sympa de remonter à Paris par la nationale plutôt que par l’autoroute… Lorsque, j’ai commencé à travailler sur l’histoire de la Nationale 7, je me souviens avoir passé des coups de fil à ma femme pour lui dire comme ce que je voyais était beau.
Cette envie de partager était prédominante, elle est venue d’une frustration en fait. Moi ce que j’aime, c’est remonter le temps ! Je me suis rendu compte qu’il n’existait rien sur l’histoire de cette route mais qu’en revanche, elle subissait régulièrement de nouvelles transformations, alors je me suis mis à prendre des photos et à engranger un maximum de témoignages.
C’est un travail de longue haleine, ça fait 30 ans que je l’arpente méticuleusement et que j’ai créé tout un réseau de correspondants. C’est toujours aussi passionnant et je fais encore des découvertes après tout ce temps.
Tu les fais en voitures anciennes, ces recherches ?
Oui, aussi souvent que possible, parce que c’est un bon moyen de rentrer en contact avec les gens. Rien de tel que de rouler en voiture ancienne, sur une ancienne route et quand en plus on le fait avec des copains, c’est super.
C’est dans cet esprit-là, que j’ai créé « L’Embouteillage de Lapalisse », en 2006. Magalie Carton m’appelle en me demandant si pour l’ouverture de la déviation qui permettait d’éviter le village de Lapalisse, je voulais lui faire une expo de dessins.
C’était bien, mais pour moi il y avait mieux à faire. Recréer un embouteillage d’époque avec tous les véhicules autos, motos, camions, tracteurs des années 50-60. On s’attendait à voir une cinquantaine de véhicules nous rejoindre la première année. Ils étaient 200, finalement ! Depuis, nous refusons du monde à chaque édition.
Depuis 2010, tu travailles aussi beaucoup dans la bande dessinée.
Oui, alors pour la BD en fait j’écris plus que je ne dessine. J’écris le scénario de la série « Les aventures de Jacques Gipar » depuis 2010, dessinée par Jean-Luc Delvaux et plus récemment « Le Merlu » depuis 2020, dessinée par Jérôme Phalippou. J’ai également relancé les « Chroniques de la Nationale 7 ».
Que faut-il te souhaiter pour les années à venir ?
Je souhaite juste continuer à pouvoir rouler avec mes voitures et notamment mes Ford T et faire profiter de belles balades à mes amis et d’autres passionnés. Je me suis mis à organiser des rallyes touristiques dans ce but. C’est toujours gratifiant de faire découvrir les trésors de nos routes et pas seulement ceux de la Nationale 7.
Visuels : © J.-Ch. Chaudron / Olivier Schindler / Igor Biétry