Interview de Fabio Quartararo, Champion du monde de MotoGP

Publié le 18/03/2022 Par David Dumain

Premier champion du monde français dans la plus haute catégorie du sport moto, Fabio Quartararo a reçu David Dumain, commentateur MotoGP sur Canal+, pour une interview à son domicile, en Andorre. L’occasion de revenir sur sa nouvelle célébrité, son travail quotidien, son approche de la vie de pilote et ses ambitions pour 2022…

Fabio Quartararo

La gestion de la gloire, l’accès au grand public

Tu es le nouveau champion du monde MotoGP et le premier Français à accomplir cet exploit. T’es-tu senti dépassé par l’ampleur de ce qui t’arrive ?

Après le titre, je m’attendais un peu à ce qui m’est arrivé, je savais que j’aurais beaucoup de sollicitations. Ça fait d’ailleurs bizarre de recevoir autant de messages d’athlètes, d’avoir une telle connexion avec des sportifs de pointe, même si en accédant au MotoGP il y a deux ans, je l’avais déjà. Mais ça pèse encore plus en étant champion du monde. Et ça fait quelque chose de se rendre compte que je suis le premier français, en plus de 70 ans, à décrocher ce titre. C’est vrai que là, on rentre dans la Cour des grands.


Tu as donné le coup d’envoi d’un match du PSG en serrant la main à Messi, tu as été invité chez Cyril Hanouna, tu es la nouvelle égérie d’une marque de vêtements, Paris-Match est venu te voir (la veille de notre entretien NDLR)… Tu as le sentiment d’être entré dans le grand public avec ce titre MotoGP. Qu’est ce qui t’a le plus touché, ému, marqué ?

Plein de choses en fait. Faire une passe à Messi, avoir la possibilité de rencontrer autant de joueurs qui me reconnaissent, me considèrent, ça fait bizarre. Tous les joueurs que j’ai rencontrés connaissent la moto. Passer chez Cyril Hanouna aussi c’est fort, parce que tout le monde regarde ou presque. Être l’égérie d’une marque aussi, c’est fort, même si j’étais un peu mal à l’aise sur une journée de shooting…


Tu te doutais que la moto pouvait avoir un tel impact dans le grand public ?

Je m’y attendais, mais pas autant. On s’y attend pour la Formule 1, qui a un impact énorme, beaucoup plus grand que le MotoGP. Mais c’est vrai que depuis que j’ai gagné ce titre en France, la moto est vue d’une façon différente, et je trouve cela intéressant. Je veux faire monter cela encore avec mes résultats. J’ai gagné mon premier titre, mais je ne veux pas que ce soit le dernier. Il faut que ça continue.


Parlons à présent de la portée de ton titre auprès de tes proches. Est-ce que cela a changé quelque chose dans ton approche de vie en général ?

Non, pas du tout. C’était un rêve pour toute ma famille, mais en particulier pour mon père, qui était pilote. Être champion du monde est un rêve pour un sportif, et puisque son fils l’a fait, c’est beaucoup de fierté. C’est énorme pour lui, pour moi, pour toute ma famille, mais ça n’a rien changé dans nos relations et je ne veux pas que cela change. Dans ma famille, je ne veux pas être Fabio le pilote ou Fabio le champion du monde, je veux être le Fabio qui fait des conneries, le fils de ses parents.


L’attitude des gens que tu connaissais change un peu. Est-ce que ça peut être gênant ?

Oui, parfois c’est gênant. Je reçois énormément de messages, venant de personnes à qui je ne peux pas ou ne veux pas forcément répondre. J’accorde plus d’importance aux amis qui sont là quand je suis dernier aussi, pas seulement quand je suis premier, à ceux qui seront encore mes amis quand j’arrêterai la moto. C’est naturel de recevoir des messages parce que je suis champion, mais je n’y réponds pas forcément.


Tes passions restent les mêmes ? Musique, mode, tatouages ?

La musique, c’est simple, j’en écoute toute la journée. J’ai mes playlists en route toute la journée. J’adore aussi la mode, le sport auto, la Formule 1 en particulier. J’ai réussi à faire pas mal d’échanges de casques…


Chez toi, tu as exposé ceux de Ricciardo, Leclerc, Hamilton… Il y en a d’autres ?

Oui, j’ai réussi à en faire avec Alonso, Gasly, mais aussi Rins et Casey Stoner à Valence. J’ai celui de Dovizioso, de Rossi… Je commence à avoir une très belle collection, et pour moi ce sont des souvenirs qui sont inoubliables.


Tes rêves s’enchaînent, en fait…

C’est un bonheur pour moi de faire connaissance de tous ces athlètes, qui sont aussi des modèles. Chacun a son petit truc, mais avoir l’opportunité de parler avec ces athlètes, d’échanger avec eux est quelque chose de très intéressant.


Andorre, le travail, l’entrainement

Depuis combien de temps es-tu installé ici, dans cet endroit en Andorre ?

Dans cette maison, cela remonte au confinement, mais cela fait plus de quatre ans que je vis en Andorre. J’y suis bien, même s’il fait un peu froid en hiver. Ce qui est cool ici, c’est que je ne pense qu’à une chose : à mon entraînement.


Quel est ton rythme et la nature de cet entraînement ?

Ça dépend. Normalement, je m’entraîne entre dix et onze fois par semaine. Souvent je descends en Espagne, faire du cross le matin. Quand je rentre, je me fais une séance de course à pied. Ou alors je me fais une séance le matin pour la partie du haut du corps : abdos, pompes,... Je n’ai pas de salle, mais j’ai des outils et je fais des exercices qui sont vraiment faits pour les muscles dont j’ai besoin. Pour la course à pied, j’ai un tapis en bas, et un en haut. J’en ai deux en cas de panne…


Tu es en quelque sorte coupé du monde, même si en Andorre, il y a beaucoup de pilotes…

Je suis coupé du monde, c’est vrai, et même s’il y a beaucoup de pilotes, je préfère m’entraîner seul. Mon voisin, juste derrière, c’est Brad Binder (pilote KTM en MotoGP NDLR), mais il y a aussi Dani Sordo (pilote automobile en Rallye), avec qui je m’entends super bien. C’est un très bon ami et j’aime bien m’entraîner avec lui.


Ton équilibre de vie est-il déterminant dans tes résultats ?

Je fais très attention à mon équilibre de vie. Je fais énormément de sport. Je fais aussi attention à mon alimentation. En pleine saison, je me permets quelques écarts, mais cet équilibre est fondamental pour un athlète.


Qui te guide dans cette préparation ?

Je suis allé voir un physio et un docteur. On sait ce qu’il faut travailler, mais tant qu’on n’est pas sur la moto, on ne peut pas savoir à 100 % si ce sont les bons muscles ou pas que l’on travaille. Tout dépend de la façon de piloter. Il y a des muscles que je pensais bien travailler mais que je ne faisais pas trop. Depuis mon arrivée en MotoGP en 2019, j’ai par exemple pris 2,5 kilos de muscles, et ce sont des kilos qui m’ont aidé à être plus en forme sur la moto. Mais là, je reviens de vacances et j’ai pris 1,5 kg qui ne sont pas des muscles...


Les sollicitations que tu as perturbent-elles cet entraînement ?

J’arrive à bien gérer, parce que je m’entraîne rarement toute une journée, et je ne suis que rarement sollicité par les médias pour une journée entière. C’est rare que je parte comme demain le matin, je dois me lever à 5 heures du matin, pour prendre un avion, aller à Paris, redescendre à Barcelone pour y dormir. Malgré ça, j’ai prévu de m’entraîner à 8 heures du soir à l’hôtel de Barcelone. Il faut toujours trouver cette motivation et je la trouve, parce que si je fais tous ces événements aujourd’hui, c’est parce que j’ai été champion du monde cette année. C’est un mal pour un bien. C’est mon travail. Je ne me suis jamais vraiment arrêté, même quand j’étais en vacances, j’étais toujours à fond.

La vie de pilote

Ce titre de champion du monde, c’est un rêve de gosse ?

Oui, parfaitement, c’est un rêve que j’avais depuis tout petit. J’ai commencé la moto à l’âge de 4 ans, et j’ai réalisé que je voulais être champion du monde MotoGP vers 6 ou 7 ans, en regardant mon idole à la télé. (Valentino Rossi NDLR). J’ai couru après ce rêve toutes ces années et en 2021, j’ai réussi à l’accomplir. C’est le premier titre, j’espère qu’il y en aura d’autres. Mais pour l’instant, je suis sur mon nuage.


Y a-t-il une différence de personnalité chez toi sur la moto et en dehors ?

Oui, une très grande différence. Sur la moto, je suis là pour gagner, il n’y a aucune pitié. Je pense avoir une vraie envie de gagner, pour ne pas dire de la rage. Plus que les autres, je pense. Quand je ne suis pas sur ma moto, je pense être au contraire quelqu’un de plutôt cool, gentil. On peut dire que c’est l’opposé, quand je suis sur la moto ou « en civil ».


Est-ce difficile d’accorder sa confiance quand on arrive à ce niveau ?

Oui, c’est difficile, je n’aime pas que l’on déforme mes mots pour faire plus de clics sur les réseaux. Je mets parfois un commentaire pour replacer les choses, sans être négatif. Parfois, deux mots peuvent changer une phrase. Je n’accorde ma confiance qu’à peu de personnes. Ma famille, quelques amis, mon manager Eric Mahé,… J’ai par exemple perdu la confiance avec mon ancien manager et on a dû se séparer, et avec Eric on a cette relation de confiance depuis plus de cinq ans. Tous les deux on est sur la même longueur d’ondes, j’en suis très content.


Tu as des choix importants à faire pour toi et pour ta carrière. Écoutes-tu beaucoup les conseils de ces personnes de confiance ou est-ce toi qui fais tes choix seul ?

Ça dépend. Le choix le plus important est celui de l’équipe. Pour les équipements ou les sponsors personnels, c’est moins primordial. Pour le choix d’une équipe, je demande des conseils à Eric bien sûr puisqu’il est dans le circuit depuis de nombreuses années, à mon père aussi, mais je demande par exemple aussi conseil à ma mère qui n’y connaît rien du tout. Mais le dernier mot, c’est moi qui le dis, c’est toujours moi qui prends la décision finale. Bien sûr, je peux faire un mauvais choix, mais j’assume toutes mes décisions. Il faut dire que j’ai de la chance d’être entouré des bonnes personnes pour m’orienter dans la bonne direction.


Donnes-tu ton avis pour le design de tes équipements ? Logo, combinaison, design de casque ?

C’est le team qui décide du design de la combinaison par rapport aux sponsors. Mais au niveau casque, gants et bottes, on travaille avec un designer pour essayer de faire un design qui me correspond. Bien sûr, ensuite on demande un accord au team, mais c’est quelque chose que je regarde énormément dans l’intersaison, pour améliorer quelques détails.


Aujourd’hui, un pilote doit aussi être un communiquant, quelqu’un qui parle plusieurs langues. Qu’apprend-on de l’école du sport de haut niveau par rapport à un parcours scolaire classique ?

Pour moi, on prend énormément en maturité. Je n’ai pas pu vraiment suivre un parcours scolaire avec tous les déplacements que j’avais à faire très jeune. Pour moi le plus important était d’apprendre des langues. J’en parle quatre aujourd’hui, j’essaie d’en apprendre une cinquième, le portugais.

C’est difficile, parce que toutes ces langues que je parle, je les ai apprises sur le terrain, avec des mécanos, des pilotes. J’ai fait une école spécialisée en anglais, mais j’ai plus appris en le pratiquant. Le MotoGP t’oblige à prendre cette maturité. Quand j’avais 15 ou 16 ans, je ne me considérais pas comme une personne de cet âge-là, comme aujourd’hui j’ai 22 ans mais je me sens plus âgé parce que j’ai des responsabilités élevées.


Tu es un pilote prudent, qui pèse ses mots en conférence de presse, quand d’autres s’exposent davantage. Est-ce une façon de te protéger ?

Oui, je me protège parce que ça va vite être critiqué. Je préfère garder certaines choses pour moi, pour me préserver de certaines critiques.

La défense du titre mondial en 2022

Quelles sont les clés du championnat pour l’an prochain pour toi et pour la moto ?

Pour moi, l’axe de travail sera d’abord d’améliorer mon pilotage dans des conditions mouillées et séchantes, mais on doit aussi améliorer le comportement de la moto dans ces conditions. Il faut chercher plus de grip sur la moto dans ces conditions mixtes pour me donner plus de confiance. Sinon, sur la moto, il faut plus de moteur, c’est la première des choses à améliorer. Pour le reste, ce sont de petits détails.


Certains grands champions ont dit que le plus dur n’est pas de gagner un premier titre mais de le défendre. Penses-tu que ce sera difficile ?

Je ne pense pas que ce soit plus difficile de reconquérir ce titre qu’à le conquérir, car c’était très dur. Je ne vois pas pourquoi ce serait plus difficile, car je me suis enlevé un poids en gagnant ce premier titre.


Ton pilotage a-t-il évolué cette année ?

Oui, en particulier sur les phases de freinage. J’ai toujours été un bon freineur, mais cette année on a encore fait un pas en avant. Également en termes de gestion des pneus, quand il s’agit de garder ses pneus frais quand on sait qu’il y a un drop du pneu, je me suis énormément amélioré. Je m’améliore tout le temps, mais c’est le cas de tous. Je pense que Marquez, qui a été huit fois champion du monde, trouve toujours quelque chose pour s’améliorer, ou quand on voit l’évolution du style de pilotage de Rossi qui n’était plus le même pilote entre 2005 et 2015, on sait que l’évolution est permanente. C’est comme ça…


Parmi tes adversaires, on parle beaucoup des difficultés que pourrait te poser Bagnaia, mais en as-tu identifié d’autres que tu crains ?

Ça dépendra du début de saison de chaque pilote. Ce sont les cinq premières courses qui donnent le coup de marteau. Pour moi, un pilote comme Rins peut être très dangereux s’il se met dedans. Mir, Bagnaia, Miller, ils sont nombreux à pouvoir faire mal s’ils se mettent dedans dès le début. Je pense que l’année prochaine, on sera cinq ou six à se battre pour le championnat.


De quelle nature est ta relation avec l’autre pilote français en MotoGP, Johann Zarco. En plus de la relation cordiale que l’on peut voir, vous arrive-t-il d’échanger par ailleurs, vous vous entendez bien ?

On est deux personnages totalement différents, mais je m’entends très bien avec Johann. On a cette chance d’être deux pilotes français en MotoGP et c’était génial de faire toute la première partie du championnat en étant premier et deuxième. On s’est poussés l’un et l’autre et on s’est fait évoluer. On a géré cette situation d’une façon positive, en faisant un step en avant tous les deux.

Obtenir mon Tarif d'assurance Moto

Visuels : © Lukasz Swiderek