Michel & Sébastien Bras : cuisine & moto, une histoire de transmission

Publié le 19/08/2025

Michel Bras fait partie des chefs cuisiniers français les plus reconnus, en France comme à l’international. Étoilé Michelin depuis 1999, élu meilleur chef du monde en 2016, inventeur du fameux coulant au chocolat... Mais Michel Bras, ce n’est pas que la cuisine : c’est avant tout un boulimique de passions. Cet homme aux multiples casquettes (ou devrions-nous dire toques !) est bien sûr un amoureux des fourneaux, mais aussi de photographie, de voyages, de course à pied, de jardinage et de sa terre de cœur : l’Aubrac. Un goût pour l’aventure et la nature qui se retrouve dans une autre de ses passions : la moto. Une flamme qu’il a brillamment transmise à son fils, lui aussi chef cuisinier, Sébastien Bras. Rencontre avec un duo père-fils aussi inspiré qu’inspirant.

Michel et Sébastien Bras à moto
Michel Bras (à gauche) aux côtés de son fils Sébastien (à droite).

Bonjour Michel Bras. Pourquoi cette boulimie de passions ?

Je me considère encore comme un enfant : tout m’émerveille ! J’adore cette citation de Pablo Neruda qui me définit bien : « L’enfant qui ne joue pas n’est pas un enfant. Mais l’homme qui ne joue pas a perdu à jamais l’enfant en lui, et il lui manquera toujours. » En bref, je croque la vie à pleines dents !

Vous êtes un pur autodidacte et la cuisine n’était pas votre passion première. Pourtant, vous êtes devenu un grand chef cuisinier. Comment l’aventure culinaire a-t-elle commencé ?

Je suis l’aîné d’une famille de trois enfants. Mon père était maréchal-ferrant et ma maman a ouvert un restaurant en 1954 lorsque j’avais dix ans, pour subvenir davantage aux besoins du foyer : le Lou Mazuc. À cette époque, après avoir échoué à mon examen de troisième, je me suis sacrifié pour reprendre l’affaire familiale. Pourtant, je rêvais à l’époque de faire carrière dans le domaine scientifique. Aussi, à mes débuts dans la cuisine, c’est la pâtisserie qui me fascinait. C’est une spécialité où l’on joue avec des éléments, où l’on peut faire des expériences. Une façon de compenser, peut-être (rires) ! La partie salée est arrivée plus tard.

Votre maman proposait à l’époque une cuisine simple et ouvrière, mais pour autant très bonne. Quels souvenirs conservez-vous de cette époque et comment cette période-là a marqué votre cuisine ?

Ma maman faisait effectivement une cuisine toute simple, sans prétention. Je trouve d’ailleurs que les mères, particulièrement dans le monde rural, avaient cette faculté à glorifier le peu en quelque chose de grandiose. Deux de ses recettes m’ont beaucoup marqué : la première concerne une tomate farcie, rouge de plaisir, tout juste sortie du four. La deuxième concerne le lapin chasseur. Sa cuisine m’a appris à aller à l’essentiel.

Michel Bras

L’aventure culinaire prend un tournant dans les années 90 : vous arrêtez le Lou Mazuc pour créer votre propre restaurant, Le Suquet, en 1992. À l’époque, ce restaurant cassait les codes traditionnels du milieu. Était-ce volontaire ?

Non, pas du tout, nous étions juste nous-mêmes. Dans ces années-là, l’image clichée de notre territoire était très figée : son terroir, les vaches, les bergers avec le béret basque, les sabots dans la paille, les nappes à carreaux vichy… Alors qu’avec mon épouse, Ginette, nous avions une fascination pour les déserts. Pour nous, l’Aubrac est un désert vert, un espace habité par la lumière. Nous voulions que notre restaurant en soit le reflet, alors nous avions notamment installé de grandes baies vitrées donnant sur la nature.

Vous êtes l’inventeur du dessert préféré des Français : le coulant au chocolat. Pouvez-vous nous raconter son histoire ?

J’étais avec mon épouse et mes deux garçons au ski dans la vallée de l’Aubrac. Ce jour-là, il neigeait et le vent était glacial. Lorsque nous sommes rentrés à la maison, nous étions transis de froid. Il faut savoir que j’ai toujours été fasciné par le chocolat : la mousse au chocolat que je prenais sur l’étagère de ma maman avant qu’elle nous la donne, le carré de chocolat qui me faisait passer des bons moments pendant mes études…

Mon épouse avait fait un chocolat à l’ancienne, et puis tout d’un coup, il y a eu une ambiance joyeuse autour de la table, les enfants ont retrouvé leur langue parce qu’ils se sont réchauffés les mains auprès du bol. Magique ! J’ai donc voulu traduire ce moment de fascination. Deux ans d’essais plus tard, le coulant était né. Vous ne pouvez pas vous imaginer les premières fois où je regardais les clients en manger comme leur physionomie changeait brutalement : tout d’un coup, ils avaient les yeux qui pétillaient !

Le statut des chefs a beaucoup évolué depuis le début de votre carrière, surtout médiatiquement. De votre côté, vous cultivez une certaine discrétion dans les médias. Comment vivez-vous ce changement ?

Il faut dire que le statut de chef, je ne l’ai jamais accepté. On m’a toujours appelé Michel en cuisine et on m’a toujours respecté. Avec mon équipe, on a d’ailleurs fondé une association appelée « Les Bras KC », il y a plus de trente ans. Elle regroupe tout le personnel de la maison et permet de partager nos passions telles que la culture, le sport, la moto… etc.

Michel et Sébastien Bras

En parlant de moto, c’est une autre de vos passions. Comment cela a-t-il commencé ?

Grâce à mes parents, la moto est arrivée très tôt dans ma vie. Dès l’âge de six mois, mon père me faisait déjà monter sur le réservoir de sa Gnome et Rhône. La passion était née et elle ne m’a plus quittée. Ensuite, j’ai possédé plusieurs bécanes, comme une Quasar, pour finir aujourd’hui avec une Royal Enfield. Comme avec la course à pied dont je suis fan (sept marathons), la moto me permet de profiter pleinement de la nature environnante. Les odeurs de l’Aubrac qui vous giflent le visage, cela n’a pas de prix. Avec la cuisine, il s’agit d’une des passions que j’ai transmise à mon fils Sébastien.

Votre fils dirige depuis un peu plus de quinze ans l’établissement du Suquet, connaissant le succès avec notamment l’obtention d’une troisième étoile Michelin. Pourtant, coup de tonnerre en 2017, il y a une rupture : votre fils décide de rendre ses étoiles. Comment avez-vous vécu cette décision ?

Sébastien a effectivement pris cette décision avec son épouse, par choix de vie, et m’a demandé mon avis : j’étais d’accord avec lui. Il faut savoir qu’en 2019 et malgré sa décision, il en a regagné deux, à notre grande surprise. Je trouve que le guide Michelin joue un peu avec les restaurateurs, ce que je n’apprécie pas forcément.

Pour terminer, quel rôle a joué la cuisine dans votre vie ?

La cuisine c’est mon langage, mon moyen d’expression. Comme pour un peintre avec ses pinceaux ou un musicien avec sa partition, la cuisine me permet d’exprimer mes émotions. Et puis, c’est surtout ce qui m’a permis de me réaliser et d’écrire certaines des plus belles pages de ma vie.

Michel Bras en cuisine

Sébastien, d’où vient votre passion pour la moto et comment se traduit-elle au quotidien, dans votre région ?

On peut dire que j’étais déjà motard dans le ventre de ma mère ! Mon grand-père, lui, est arrivé du Lot jusqu’en Aubrac à moto, avec ma grand-mère. La moto… c’est donc une histoire de famille !

Mon père a repris le guidon avec une Kawasaki GPZ 550 quatre cylindres quand j’avais dix-huit ans et mon oncle, André, avait une BMW GS R80 que je prenais quand j’avais seize ans. La sœur de mon père avait une Motobécane jaune, ma première mobylette. J’en faisais quand je me rendais à leur ferme. À quatorze ans et avec mes copains de l’époque, on avait même monté un club de mobylettistes, le club des vautours, les « méchants » du village !

J’ai eu mon premier gros cube à dix-huit ans et depuis, j’ai toujours eu des motos : sportives, routières, trails… j’ai aussi eu une Harley que j’ai gardée six ans. C’est un modèle que j’ai apprécié car c’est une moto qui canalise tes ardeurs ! J’aime le bruit qu’elle émet, son couple moteur. Ensuite, je suis passé sur la BMW GS et, à la suite d’un voyage en Inde avec mes copains du village et mon père il y a sept ans, j’ai acheté une Royal Enfield. À notre retour, on a créé un club, les « Blue Riders », puisqu’on a tous la même moto : une Royal Enfield Classic 500. Ensemble, on se fait des virées régulières : nous sommes partis en Corse l’an dernier et cette année, ce sera la Dordogne pour quelques jours. Dans dix-huit mois, nous partirons un peu plus loin… en Argentine ! Ma dernière moto, c’était la moto de mes rêves : une Honda RC30, une moto de compétition qui, pendant des années, gagnait tout. Je peux vous dire que j’en prends grand soin.

J’enfourche régulièrement mes motos pour me changer les idées et m’aérer l’esprit et dès qu’il fait beau, je me déplace un peu partout, ce qui remplace même parfois une sortie VTT. Je me définis plutôt comme un motard multi-casquettes, multi-usages. J’ai transmis ma passion à mes enfants puisque ma fille s’est acheté un motocross il y a quelques années. Mon fils a pris le virus lui aussi !

La moto est une passion commune avec votre père. Quel est votre meilleur souvenir deux-roues avec lui ?

Je dirais mes premières sorties sur la Kawasaki GPZ 550. C’était vraiment un rêve de gamin d’avoir un gros cube et à cette époque, ma vie de motard commençait tout juste ! Sinon, je choisirais le voyage en Inde pour ses soixante-dix ans. Une découverte inoubliable.

Est-ce que votre passion pour le deux-roues est une source d’inspiration pour votre métier ?

Je pense que le rapport à la nature est différent à moto qu’en voiture. La moto, c’est un plaisir à part, qui est complémentaire à la cuisine. On découvre des paysages, ils réveillent nos sens. Au printemps par exemple, lorsque les champs sont en fleurs, nous avons tous les parfums qui en émanent. La moto enrichit réellement ma réflexion sur mon métier et a une influence positive sur mon inspiration. Grâce à ce que je vis à moto, je peux avoir des visions claires sur le dressage et sur l’esthétique d’une assiette. C’est la continuité du partage avec ma région, l’Aubrac, qui m’a vu grandir.

Assiette de fleurs

Des membres de notre Club vont avoir la chance de partager pendant quelques jours votre quotidien. Comment est née l’idée de cette aventure mêlant moto et gastronomie en Aubrac ?

Cette idée a émergé lors d’un dîner dans mon restaurant La Halle aux Grains, à Paris, avec Caroline de l’agence Km50, que je connaissais d’une autre aventure professionnelle. Nous nous sommes mis à parler de moto et elle m’a proposé ce séjour qui m’a tout de suite enthousiasmé. C’est l’occasion pour moi de partager mon métier et de l’associer avec une passion qui m’est chère. C’est aussi le meilleur moyen de la partager avec d’autres passionnés qui ont les mêmes envies et ce goût du deux-roues… ça a du sens.

Quelles activités avez-vous imaginées pour cette virée ?

Nous allons tout d’abord démarrer par un cours de cuisine. Il y aura une visite du jardin où nous cultivons toutes nos herbes et nos fleurs pour nos assiettes. Ensuite, nous irons rouler à moto ensemble sur le plateau, sur un itinéraire que je vais préparer. Nous avons prévu de déjeuner dans un buron et, quand le soir sera venu, les clients viendront découvrir ma cuisine lors d’un dîner dans notre restaurant, Le Suquet.

Est-ce un souhait de votre part d’aller vers ce type de diversification ?

On verra à la suite de ce séjour qui sera une première ! Mais je pense que c’est quelque chose qui pourrait me plaire, faire découvrir mon Aubrac et ma cuisine à des passionnés de moto. C’est un bon combiné de deux passions chères à ma vie. Qui sait, peut-être que par la suite je pourrais avoir envie de faire ça régulièrement (rires) ? L’Aubrac reste aussi une destination encore préservée, que les motards adorent. Il n’y a qu’à voir le nombre de motards sur les routes aux beaux jours, c’est un exemple parlant !

Pour conclure. En trois mots, comment qualifieriez-vous l’expérience de L’Échappée Gourmande en Aubrac ?

Pour résumer, je dirais trois mots commençant par la lettre « P », comme « passion » : plaisir, partage et privilège… que ce soit pour moi ou pour les participants !

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Visuels : © Marie Etchegoyen - M6, Bras Officiel