Sylvain Tesson et Thomas Goisque, 20 ans d’aventures à moto
Publié le 29/09/2022• Par David Dumain
Partis de nouveau ensemble sur les traces de Lawrence d’Arabie en parcourant la Jordanie, la Syrie et le Liban avec le soutien d’AXA Passion, l’écrivain Sylvain Tesson et le photographe Thomas Goisque ont sillonné ensemble le monde pendant plus de 20 ans, le plus souvent à moto ou en side-car à la recherche d’un absolu. Les mots du premier, les photos du second, sont autant de claques et de raisons d’aimer regarder l’horizon, le nez au vent.
« Pour les vieilles dames, les motards sont des voyous.
Pour les intellectuels, des abrutis.
Pour les abrutis, des « privilégiés » (ce moto !).
Pour les hygiénistes, des alcooliques.
Pour les alcooliques, des éléphants rosses.
Pour les pouvoirs publics, des dangers du même nom.
Pour les gauchistes, des individualistes.
N’étant jamais aimé,
Il ne faut pas s’étonner que le motard
s’enfuie toujours plus loin,
poussant ses feux sans cesse
traçant droit devant lui
à la recherche d’une amie. »
A certain spirit of biking
Les mots de Sylvain Tesson sont choisis, autant que vécus. Ce besoin d’écrire sur la moto, l’écrivain l’épanche depuis une vingtaine d’années qu’il roule sur deux ou trois roues, au travers d’articles dans la presse généraliste ou spécialisée, mais également en fil rouge plus ou moins distendu de ses romans.
Prix Médicis pour son essai « Dans les Forêts de Sibérie » en 2011, Sylvain Tesson n’aime rien tant que partir à l’aventure, pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois en compagnie de son fidèle ami et photographe, Thomas Goisque. Leur rencontre s’est produite après plusieurs voyages chacun de leur côté, lorsqu’un grand quotidien national a cru bon de confier un reportage, en compagnie d’un troisième larron, l’illustrateur Bertrand de Miollis. Thomas se souvient de ce « point de départ » : « Ils nous ont alors donné carte blanche pour faire 15 pages sur un sujet en Inde. On est partis avec la ferme intention de s’éclater, donc de faire de la moto. On a donc loué des Royal Enfield à New Delhi pour faire le tour du Rajasthan. Quand on est revenus, on a produit un sujet sur l’Inde comme convenu, et à notre surprise, ils ont surtout sélectionné les photos avec les motos : une fameuse avec des éléphants, une autre où l’on jurerait que l’on prend le thé au Sahara, etc. Ils nous ont aussitôt demandé de repartir pour un autre périple l’année suivante. Ça a été le point de départ de quatre voyages magnifiques que le Figaro nous a payé pendant quatre ans. Après le Rajasthan, on a effectué la remontée du Mékong, de Saïgon jusqu’à Angkor. Puis c’était le Chili Nord-Sud la troisième année et la quatrième année, on a doublé la mise avec le tour du Baïkal sur la glace en Ural, puis les capitales de la nouvelle Europe avec des Moto Guzzi Breva, que l’on a ramenées jusqu’à l’usine au bord du lac de Côme. On avait commencé à prévoir le voyage suivant, sur la côte Est de l’Australie, mais cela correspondait à une période où Bertrand était un peu las. Notre illustrateur n’étant plus de l’aventure, on n’est pas partis. On formait un trio, la question ne s’est même pas posée de savoir si on ne partait qu’à deux, Sylvain et moi… C’est vraiment dommage, on a laissé passer le coche. Le Figaro est passé à autre chose, et puis après c’était fini, on était oubliés. On peut dire qu’on s’est tiré une balle dans le pied, parce que tout était très bien organisé, et parce qu’avec 15 pages dans Le Figaro, tout le monde nous ouvrait les portes. Cela ne nous a pas empêchés de continuer avec Sylvain, mais c’était plus fastidieux en termes de budget et d’organisation. On est allés rouler en Mongolie, l’été puis l’hiver, puis on a refait la retraite de Russie en side-car, par la même route que les grognards de Napoléon ! »
Des routes qui se recroisent toujours
D’abord sorti en novembre 2019, le livre « En Avant, Calme et Fou » rassemblant plus de 20 ans de voyages va être enrichi du dernier périple en date des aventuriers, qui se sont lancés sur les traces de Lawrence d’Arabie au guidon de Yamaha Ténéré 700. Accompagnés du réalisateur Clément Gargoullaud et de l’organisateur de l’aventure, François Lastours, les compères Goisque et Tesson ont parcouru la Jordanie, la Syrie et le Liban sur près de 3000 kilomètres en posant leurs roues près de hauts lieux historiques, notamment de la Révolte arabe menée par Lawrence d’Arabie durant la Première Guerre mondiale : la fort d’Aqaba, la cité antique de Petra, le désert du Wadi Rum, les châteaux du désert, la forteresse de Saladin, les vestiges de Palmyre où ils ont dormi à la belle étoile, l’ancienne gare-terminus de l’Orient-Express, Damas, sans oublier le majestueux Krak des Chevaliers.
« En Avant, Calme et Fou » est un recueil de pensées et de clichés. À chaque page, les clichés de Goisque illustrent les fulgurances intellectuelles de Tesson, le plus souvent un carnet ou un livre en main, un cigare dans l’autre quand ce n’est pas un stylo. Un projet mûri de longue date, sur lequel planait cependant une ombre… Thomas se confie : « Depuis longtemps, Sylvain avait envie d’écrire un texte sur la moto, sur le plaisir de voyager à moto, sur l’esthétique de la bécane. Ce projet, on l’avait baptisé entre nous « A certain spirit of biking ». C’était un peu l’esprit du motard… Le problème, c’est que l’on redoutait aussi qu’après avoir écrit le livre, nous n’ayons plus envie de partir. Et comme on pensait que derrière, ça s’arrêterait, on a un peu traîné, on a repoussé l’échéance. »
Heureusement, les craintes de sédentarisation se sont dissipées. Début 2020, les deux amis s’étaient envolés pour la Patagonie sur les traces de Saint-Exupéry et des aventuriers du ciel en compagnie du Groupe Militaire de Haute Montagne. Un reportage aussi élevé qu’inspiré, au cours duquel les deux aventuriers découvrent une discipline extrême baptisé paralpinisme, qui consiste à escalader la face d’une montagne, puis de sauter du sommet, équipé d’un parachute. Le reportage, qui mêle les exploits sportifs de militaires hors-normes et légendes de l’Aéropostale sur fond de Cordillère de Patagonie est publié dans Match avant l’été, alors même que Thomas vient d’achever un road-trip en Brough Superior sur les traces de Lawrence d’Arabie… en France. Ce tour de France des châteaux médiévaux, que celui qui n’était pas encore le héros romantique accomplit à vélo pour les besoins de sa thèse à Oxford alors qu’il était dans sa vingtième année, a forcément interpelé l’aventurier Tesson, et lui a donné l’idée de se lancer dans une suite en Orient…
« Le nomadisme était notre morsure »
En contrebas du Château-Gaillard des Andelys, il exprimait sa vision de l’œuvre de Lawrence, avec une récente traduction des Sept Piliers de la Sagesse sous le bras. Sylvain Tesson se défend de voir en Lawrence un homologue écrivain, érudit, aventurier, motard. On ne peut cependant s’empêcher d’y voir un miroir lorsqu’il déclare : « Lawrence m’inspire. Ce qui m’intéresse chez lui, c’est qu’il y a une coexistence sur le plan de l’aventure physique, l’aventure musculaire, et l’aventure de l’esprit. C’est rare. En France, on considère toujours qu’un intellectuel doit être un peu débile physiquement et qu’un sportif, un motard, doit être un petit peu abruti intellectuellement, alors que les anglo-saxons, et la figure de Lawrence le prouve, marient les deux, dans l’ordre de l’esprit et dans l’ordre de l’action. Lui, il ne peut pas s’empêcher de monter sur sa moto, sur sa bicyclette ou sur un chameau plus tard, tout en pensant à la littérature. Le génie de Lawrence est un mélange d’inspiration politique, de goût du nomadisme aussi. Il dit, dans les Sept Piliers de la Sagesse, “ le nomadisme était notre morsure“. Il ne peut pas s’en empêcher : il est sur la route, il fédère les hommes, et son mouvement va créer la libération. C’est fantastique. »
Même lorsqu’ils effectuent des « missions » séparées, Sylvain et Thomas « croisent » leurs infos, se retrouvent s’ils le peuvent, au nom d’une indéfectible confiance, qui ne nécessite pas d’exclusivité, ce qui convient tout à fait à Thomas : « On fonctionne bien avec Sylvain, on ne fait pas tout ensemble et on peut faire certains voyages avec d’autres, il n’y a pas de problème. » Leur recueil finalement intitulé « En Avant, Calme et Fou » contient d’ailleurs des photos précédant leur rencontre. « Il y a des voyages qu’on n’a pas fait ensemble, pas mal avant qu’on se connaisse, d’ailleurs. Je vendais des voyages à L’Intégral, au Vietnam, au Cambodge, à Madagascar, au Kirghizistan. Le livre comporte également des photos de voyages que j’ai fait sans Sylvain. Lui voyageait aussi de son côté. Quand on s’est connu, on s’est rendu compte qu’on avait, entre autres, cette passion commune. Il avait fait du side-car en Ouzbékistan, vers la mer d’Aral, il avait ramené plusieurs Ural de Russie, il avait fait pas mal de trucs sympas à moto, dont on n’a pas de photos dans le livre. »
Pas de photos, mais des sensations, des souvenirs, qui guident la plume de l’ami Tesson lorsqu’il explique en préambule la raison d’être de leur démarche : « Pourquoi avions-nous pris la route ? Nous étions de gentils garçons, et bien élevés avec cela. Nous avions fait du latin, pris des leçons de piano. Rien ne nous prédisposait à enfourcher des motocyclettes, la main droite sur la poignée des gaz. Certes, on avait entendu dans notre enfance qu’il fallait « empoigner son destin ». Quand on est sensible à ce genre d’injonction, il n’y a pas trente-six choix : on saisit une charrue ou bien un fusil de soldat. Nous, nous pensâmes au guidon des motocyclettes. Et très vite, nous comprîmes que rien ne valait de se tenir assis sur la selle, pendant des heures, bras tendus, regard fixe, torse droit, immobile, lavé par les rafales. En avant, calme et fou. »
« C’était pour cette raison précise que nous allions à motocyclette : jouir du moment où, le soir, nous allions préparer le bivouac. »
Retrouvez les étapes du roadtrip moto sur les traces de Lawrence d'ArabieDécouvrir le billet complet de Sylvain Tesson
Visuels : © Thomas Goisque