L’aventure à moto se conjugue aussi au féminin

Publié le 27/10/2025 Par Thierry Traccan

Pourquoi l’aventure devrait-elle avoir un sexe ? Bien qu’on l’imagine souvent au masculin, accrochée aux visages burinés des baroudeurs, ne dit-on pas « une » aventure ? Comme « une » moto d’ailleurs...

Stéphanie Rowe à moto au Laos

Pour Edmond Haraucourt, poète français du 19e siècle, partir c’est mourir un peu… Bien sûr que partir c’est souvent laisser quelqu’un - et toujours quelque chose - derrière soi. Mais partir, quand on parle de voyage à moto, c’est surtout vivre beaucoup. Vivre avec intensité, en prenant des risques possiblement, mais en vivant pleinement. Et puisqu’on en est aux citations, gardons à l’esprit celle de l’écrivain Paulo Coelho : « si tu crois que l’aventure est dangereuse, essaie la routine, elle est mortelle ». À chacun ensuite de mettre son curseur où il le souhaite, en fonction de ce qu’il juge comme part de risque acceptable, sachant que l’évaluation du risque, ou d’un risque, reste déjà une appréciation toute personnelle. D’une manière générale, reconnaissons que le voyage peut être dangereux, comme la moto qui n’est pas le plus sûr des moyens de transport, et que partir à la découverte du monde quand on est une femme seule comporte là aussi a priori plus de risques qu’un homme empruntant pareil chemin.

En parcourant les récits offerts par des aventurières à moto comme Anne-France Dautheville, la pionnière, ou Mélusine Mallender, on mesure justement que les a priori sont faits pour être battus en brèche. Ce que l’on retient de leurs périples longs de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres qui s’étalent sur une période de plus de 50 ans, bien plus que le danger, c’est la liberté gagnée.

L’aventure, c’est déjà cette liberté. Celle que l’on embrasse avec la première impulsion du tour de clé, puis vient le coup de pouce sur le démarreur ou de la botte sur un kick, et finalement celle sur le moteur une fois démarré qui offre à la roue avant le champ des possibles.

L’aventure peut être celle d’une journée, d’un week-end, d’une semaine, d’un mois, d’un an, voire d’une vie. Elle peut se vivre à côté de chez soi ou tout autour du monde. Mais forcément, celles qui marquent le plus ceux qui restent à quai, ce sont les aventures du bout du monde, celles qui nous transportent bien au-delà de nos repères, celles qui nous interpellent et parfois nous chamboulent.

Stéphanie Rowe
Pas besoin d’une moto de dernière génération pour vivre l’aventure.

Quand on connait la rudesse de la pratique de la moto, on reste admiratif du parcours de ces femmes parties en quête de découvertes, de pays, de parfums, mais aussi d’elles-mêmes, et surtout de l’autre. Partir à moto, quand on veut se donner la chance d’aller loin, c’est d’abord organiser les choses. Peu importe à ce stade que l’on soit un homme ou une femme, la différence se cantonne dans le choix de certains équipements développés spécifiquement pour les filles, idéalement dans celui d’une moto adaptée à son gabarit ou à son poids. On pourrait aussi imaginer que certains pays se réservent davantage aux garçons, rapport à la place de la femme dans ces sociétés, mais les deux aventurières citées plus haut n’ont cessé de témoigner de cette possibilité d’avancer même là où ne les attend pas.

Le voyage à moto naît d’abord d’un désir profond, et se réalise par un engagement total et constant. Ce sont ces enseignements glanés entre les lignes des ouvrages des aventurières qui se lancent pareils défis qui impriment la méthode. Une immense envie et un mental d’acier, voilà les corollaires sur lesquels viendront s’agréger les kilomètres et avec eux, tout ce qui rend l’aventure tellement unique. Les découvertes, les rencontres, les succès comme les échecs ; les tranches de vie en somme...

Anne-France Dautheville, la pionnière

Anne-France Dautheville et une jeune fille

Qui sait si Anne-France Dautheville n’était pas tombée en 1972 sur une petite annonce publiée par le magazine l’Express mentionnant le premier Raid Orion qui relierait Paris à Isfahan (Iran) si son destin aurait été le même ? Ou encore si quelques jours après s’être vu refuser sa sélection à ce grand raid motocycliste, elle, la seule femme sur quatre-vingt-douze candidats, elle n’avait pas confié son désarroi à un membre de l’organisation qui l’a requalifiée aussitôt parmi les participants ?

La moto, elle n’était tombée dedans que quatre ans plus tôt. C’est au cœur de mai 1968, quand les transports étaient bloqués, qu'elle avait trouvé cette solution pour rejoindre son petit ami. Un engin commode qui, l’amoureux envolé, se transforma en parfait outil de découverte, sillonnant la France les années qui suivirent.

Le Raid Orion marqua son premier grand voyage, et arrivée en Iran, elle poursuivit sa route avec un petit groupe en Afghanistan, puis au Pakistan. Un voyage de cinq mois qu’elle coucha sur papier dans le livre « Une demoiselle sur une moto ». Lasse de jalousies trop masculines, elle décida de repartir, et seule cette fois, pour un périple au guidon d’une Kawasaki 100 cm3 qui la mènera du Canada à l’Inde en passant par l’Alaska, le Japon, l’Iran, la Turquie, la Yougoslavie et une autre bonne partie de l’Europe.

Anne-France Dautheville en Australie avec un bébé kangourou

En 1975 ce sera l’Australie avec une BMW 750, puis une 800, et encore une Honda 250 en 1981 pour découvrir l’Amérique du Sud. Ce sera son dernier grand voyage, avant de s’offrir un tour de France pour fêter ses 60 ans en s’arrêtant chez ses amis, et d’en tirer un livre : La vieille qui conduisait des motos. « Pendant des années je me suis promenée autour du monde. Peut-être parce que mes ancêtres étaient des Vikings, le voyage m’est indispensable. Il suffit que je pousse la porte d’une maison inconnue pour que ma tête, mon cœur s’ouvrent, et que se produise ce miracle que l’on nomme : Partage » confia-t-elle un jour à Stéphane Battle (du blog Les motos mythologiques).

Une vie de voyage et d’écriture avec vingt-quatre livres publiés, pas tous avec comme thématique la moto. Cette amie, à qui elle voue bien plus qu’une tendresse, cette compagne de voyage, pour aller à la rencontre de l’autre et de soi-même comme, elle le livrait encore : « Avant je partais… car ailleurs, c’est un peu plus loin. Et la moto est fantastique pour cela, car elle ne fait pas seulement que te transporter physiquement. Aujourd’hui tout le monde dépense des fortunes pour pratiquer la méditation, la sophrologie… Faut arrêter ! Tu te mets le cul sur une moto, tu montes à 4000 tours par minute, tu laisses filer… Et ça y est, tu médites ! »

Stéphanie Rowe, jusqu’au bout des rêves

Voyageuse à moto et pilote en rallye-raid. Nous avons rencontré pour la première fois Stéphanie lors de l’Africa Eco Race 2025. L’occasion de mesurer la ténacité de cette femme qui dégage autant d’énergie que de volonté pour mener à bien ses objectifs. 2026 devait être son premier Dakar, mais une blessure contractée lors d’un voyage en Grèce au début de l’été la contraint à y renoncer… Partie remise !

Portrait de Stéphanie Rowe

Stéphanie, tu t’es sérieusement blessée il y a quelques mois, où en es-tu de ta convalescence ?

Je me suis blessée il y a un peu plus de trois mois, je suis tombée assez fort sur une piste remplie de cailloux, certainement une marche que je n’ai pas vue et que j’ai prise à 70 km par heure, je pense… Je ne me souviens pas, j’ai été victime d’un traumatisme crânien, je me suis brisé les deux poignets, mais pas joliment. Et puis j’ai eu un énorme hématome au genou, qui reste encore un peu gonflé. Heureusement que j’avais de grosses orthèses, toutes les armatures métalliques étaient tordues. Je suis sortie du centre de convalescence parce que j’ai un blocage mécanique au poignet, peut-être à cause d’une vis, je dois faire le point avec mon chirurgien.

Tu avais pour projet le Dakar 2026, c’est maintenu ?

Non, non, ce n’est pas possible. J’ai trop de séquelles avec mes poignets. Il me manque trop de mobilité, je n’ai pas du tout travaillé la force, et peut-être que je vais devoir me faire ré-opérer. Cette fin d’année, c’est cuit pour la moto. Enfin, je vais essayer de pouvoir reprendre le travail. Je suis instructrice de trails, on organise des balades, et même si je ne peux pas prendre le guidon, je saurai me rendre utile en accompagnant les groupes dans le véhicule d’assistance.

La moto pour toi, ça remonte à quand ? Et pourquoi ?

J’ai commencé la moto quand j’avais 21 ans, assez tard, j’en ai 38 maintenant. J’ai commencé par la moto de route. Mais avant la moto, on faisait un peu de tout terrain avec un 4x4, et de fil en aiguille on m’a proposé un jour d’essayer une moto en off-road, c’est venu comme ça. J’ai grandi en Angleterre, à côté du circuit de Goodwood, et quand ma mère partait faire les courses au supermarché, elle nous déposait avec mon père et on regardait les voitures, les motos. Il y avait aussi le copain de ma grande sœur qui avait une petite 125, et je la voyais quand il venait à la maison. J’ai essayé et j’ai adoré. Un mois après je passais mon permis et j’ai tout changé.

C’est-à-dire ?

Je suis allée dans un magasin de motos pour les regarder. En discutant avec un employé je lui ai dit que je regardais uniquement, que je souhaitais changer de travail et que je n’avais pas les moyens pour l’instant d’acheter une moto. Et puis je lui ai demandé s’il ne recherchait pas quelqu’un pour travailler. Une semaine après je vendais des pièces dans ce magasin, qui était une concession Ducati et Suzuki. J’ai appris aussi la mécanique, d’ailleurs je la fais aussi sur ma voiture.

Stéphanie Rowe rallye au Maroc
Des rêves de Dakar que Stéphanie construit au fil de ses rallyes-raids.

Quelle est ton expérience à moto ?

Les voyages à moto racontés par Ewan McGregor et Charley Boorman m’ont fait rêver et donné envie moi aussi de voyager. Un an après que j’ai eu le permis, on a pris la route d’Angleterre avec des petites motos pour rejoindre Montpellier. Nous étions cinq et n’avions pas les moyens d’aller très loin, mais partir jusqu’à Montpellier avec nos petites motos en mauvais état était déjà une aventure. Et l’année suivante je suis partie en Espagne et au Maroc par les chemins.

Tu en as fait beaucoup des voyages ?

J’ai eu la chance que BMW mette en place un programme au moment où la marque sortait la GS 1200 liquide. La marque recherchait cinq pilotes pour partir rouler dans différents pays. J’ai postulé en disant que j’avais une expérience tout terrain, que j’étais certes petite de taille mais que justement ce serait une belle façon de montrer que tout le monde peut piloter une GS. J’ai été sélectionnée, je faisais les campagnes marketing, j’étais invitée aux événements… C’était top. Malheureusement j’ai eu un accident en 2013, je me suis salement cassée le genou et je n’ai pas marché pendant deux ans. J’ai été opérée six fois, avec des greffes, etc. Ça a été un peu compliqué. (rires)

Dès que j’ai pu marcher, je suis partie en Asie avec un sac à dos en 2015. Au bout d’une semaine j’ai dit à mon copain que ce n’était pas pour moi, que ça me limitait trop. Avec ma moto, si je veux aller voir ce qu’il y a de l’autre côté de la montagne, je peux y aller, c’est la liberté. À pied et avec un sac à dos, tu prends les bus, les voitures, ce n’est pas pareil. On a acheté des petites motos et on est resté trois mois à visiter l’Asie du Sud-Est. En 2017 j’ai fait le Japon, avec BMW je suis allée en Nouvelle-Zélande, en Mongolie…

Pourquoi avoir choisi la compétition ?

En 2017, j’avais repris confiance, mes blessures étaient oubliées. Un jour je suis allée à une conférence que tenait une fille qui avait fait le Dakar, j’ai bien parlé avec elle, on faisait la même taille (NDLR 1,60 m). Elle m’a motivée en me disant que je pourrais le faire aussi. C’était le déclic, j’ai tenté ma chance avec mon premier rallye en 2017. J’ai adoré, et depuis j’en fais un chaque année.

Stéphanie Rowe au Maroc
Le voyage à moto au féminin, c’est aussi de la débrouillardise, des compétences, de l’envie, et beaucoup de sourires.

En début d’année tu as fait une belle course à l’Africa Race. Tu es la première pilote féminine à terminer la course en faisant toutes les étapes et toutes les spéciales. Tu en es fière ?

Oui, c’est surtout que je suis la première fille à terminer cette course en étant engagée en malle moto (NDLR sans assistance).

Pourquoi le choix de la malle, parce que ça coûte moins cher ?

Ça coûte moins cher oui, mais ce n’est pas la raison principale. La malle moto pour moi c’est l’essence de la compétition. Mon objectif c’est de faire un Dakar en malle moto, ce qui n’a jamais été fait. La malle, c’est vivre l’aventure à fond, c’est se rapprocher de l’esprit d’antan, celui de la débrouille, c’est un défi personnel.

C’est quoi, ce qui te plaît dans cet univers ? Qu’est-ce qui te pousse à faire ça ?

J’aime l’endurance qu’imposent les rallyes, et puis j’aime bien la compétition, celle avec les autres, mais surtout celle avec soi. Le challenge que ça représente.

Et la cohabitation avec les gars ?

Je crois que c’est presque un avantage d’être une femme. Alors pas dans toutes les compétitions. En endurance tout terrain, je me rappelle que lors de ma première course, un garçon m’a roulé dessus cinq mètres après le départ (rires). Mais en rallye c’est différent, les gens sont plus ouverts. L’ambiance est bonne et souvent les garçons sont parfois admiratifs. Il y a du respect. Mais tu sais, en fait je ne me dis pas les choses comme ça. Moi j’aime la moto, le rallye, et je fais de la moto avec d’autres personnes qui aiment faire de la moto, peu importe le sexe. En malle moto, quand on termine une journée difficile, tout le monde est content pour l’autre.

Toi qui fais de la course, comment juges-tu ces femmes qui partent seules pour parcourir le monde ?

Je suis admirative. Cependant, aujourd’hui on n’est plus seules quand on parcourt le monde. Avec les réseaux sociaux c’est fou, tu trouves des communautés de motards qui sont prêts à t’aider, à t’accueillir. Après, pour celles qui sont parties avant cette époque, ou pour celles qui voyagent sans connexion, c’était encore une autre aventure.

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Visuels : © Otto Von Viani, Collection Stéphanie Rowe, Collection Anne-France Dautheville