Émilie Beau, Directrice de l’association Hermione-La Fayette

Publié le 28/01/2025

À la tête de l’association Hermione-La Fayette, Émilie Beau dirige avec passion l’un des projets les plus emblématiques du patrimoine maritime français. Plus qu’une réplique d’un navire historique, L’Hermione incarne un défi technique et un outil de transmission unique. Pour AXA Passion, elle nous dévoile les coulisses d’une aventure humaine exceptionnelle.

Emilie Beau.Émilie Beau, Directrice générale de l’association Hermione-La Fayette depuis 2019.

Bonjour Émilie. Vous êtes directrice générale de l’association Hermione. Pouvez-vous nous raconter votre parcours en quelques mots ?

Je ne viens pas du monde maritime à l’origine. Mon parcours, avant de rejoindre L’Hermione, a été marqué par des expériences dans la communication, les relations publiques et la formation dans l’aéronautique.

Quand je suis arrivée, l’association se trouvait à un tournant décisif : la construction du bateau était achevée et il avait déjà navigué, mais il fallait désormais imaginer comment pérenniser son exploitation. J’ai débuté en tant que responsable du développement et, en 2019, j’ai pris la direction générale.

Rapidement après ma prise de poste, nous avons dû faire face à de nouveaux défis : les confinements liés à la pandémie et la mise en réparation de L’Hermione. Aujourd’hui, nous travaillons à sa restauration pour préparer une nouvelle grande aventure maritime.

Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de contribuer à des projets porteurs de sens. Refuser un projet comme celui-ci aurait été impensable. L’Hermione et son association, ce n’est pas seulement un bateau ou un chantier : c’est tout un écosystème. Ce projet permet des rencontres, lutte contre l’exclusion et donne un sens à l’engagement de nombreuses personnes : entreprises, familles, jeunes en formation ou demandeurs d’emploi. C’est autour de ce navire que toutes ces énergies se réunissent pour construire ensemble quelque chose d’unique.


Quel est votre lien avec l'univers de la plaisance ?

Personnellement, je n’ai aucun lien particulier avec l’univers de la plaisance, à part le fait d’avoir eu des parents qui possédaient un petit bateau (rires), pour des sorties en famille ou entre amis. J’ai fait quelques sorties en mer quand j’étais jeune, mais rien de plus. Je ne viens pas d’une famille de passionnés de voile, et je trouve ça intéressant, car cela montre que les aventures maritimes aussi exceptionnelles que celle de L’Hermione ne sont pas réservées aux personnes vivant sur le littoral ou déjà très sensibilisées à l’univers de la mer. Ce type de projet a une portée bien plus large.

L’Hermione est pour autant entourée de personnes très expérimentées. Le Président de l’association, Marc de Briançon, est un marin aguerri, vice-amiral d’escadre (2S) et notamment commandant du porte-hélicoptères Jeanne d’Arc. Être bien entouré est essentiel pour mener un tel projet. Aujourd’hui, l’association est structurée autour d’experts dans différents domaines : armement, charpente, tourisme, formation…


Quelle est l'importance historique de L'Hermione ?

La reconstruction de L’Hermione a permis de retracer un pan de l’histoire maritime qui avait été quelque peu oublié. Rochefort, à l’époque, était un important arsenal naval, presque une « usine à bateaux ». C’était une époque de grande puissance maritime pour la France. Cependant, au fil des années, les navires en bois ont été remplacés par des bateaux en fer, marquant un tournant dans l’histoire navale.

Au XVIIIᵉ siècle, pendant la période de L’Hermione, ces navires avaient pour mission d’aider les alliés, notamment les Américains, dans leur lutte contre les Anglais. L’Hermione faisait partie des nombreux bateaux construits à Rochefort et a été choisi par le Marquis de La Fayette pour apporter le soutien de la France à George Washington dans le cadre de la guerre d’indépendance des États-Unis. Cette mission a joué un rôle symbolique dans la naissance des États-Unis.

une bénévoleLes bénévoles de l’association participent au quotidien à l’entretien du navire, encadrés par les marins professionnels. Une maintenance plus poussée est réalisée pendant les conséquents travaux de restauration de la coque.

Quelle est la vision qui a guidé la création de la réplique de L’Hermione ?

La vision derrière ce chantier était de recréer une part d’histoire. Le projet consistait à reconstruire l’une des plus grandes frégates en bois du monde capable de naviguer.

Cette immersion historique est unique. Contrairement à un musée classique, L’Hermione offre une transmission amplifiée de l’Histoire. Pour reconstruire ce navire, il a fallu recréer des gestes, des outils et mobiliser des savoir-faire proches de l’archéologie expérimentale. Ce travail a impliqué des recherches historiques approfondies, mais aussi de l’innovation, car l’histoire doit également évoluer.

Aujourd’hui, le projet ne se limite pas à la restitution du passé. Il ouvre aussi des perspectives pour l’avenir. Les voyages actuels de L’Hermione s’accompagnent de réflexions sur des enjeux modernes, comme la décarbonation ou les transports véliques. Des entreprises se tournent vers nous pour explorer ces thématiques, cherchant à tirer des enseignements du passé pour innover.

L’Hermione joue aussi un rôle clé dans la formation des jeunes. Ce n’est pas pour les renvoyer aux métiers du XVIIIᵉ siècle, mais pour leur donner une compréhension du patrimoine maritime et du sens de l’Histoire, et ainsi mieux s’inscrire dans l’avenir.


Lors du choix des matériaux et des techniques de restauration, un compromis entre authenticité et normes de sécurité modernes était-il nécessaire ?

Oui, un compromis était inévitable, mais il a été limité aux aspects liés à la sécurité et au confort de vie à bord, tout en restant fidèle à l’esprit du XVIIIᵉ siècle. L’Hermione, même aujourd’hui, reste un environnement très spartiate lorsqu’on navigue.

Nous avons conservé les canons pour le poids et l’équilibre du bateau, mais évidemment, ils ne sont plus fonctionnels. Il a fallu réfléchir à la taille optimale de l’équipage, sachant qu’il serait réduit. Finalement, 80 personnes se sont avérées suffisantes – contre 200 à 300 à l’époque – tout en tenant compte des contraintes physiques, comme la nécessité d’avoir parfois jusqu’à 25 personnes en haut du mât, à 47 m de hauteur, pour manoeuvrer les voiles.

Concernant les aménagements, des ajustements ont été faits pour répondre aux besoins modernes. À l’époque, les marins mangeaient à même le sol, vivaient avec des animaux à bord, et ne disposaient ni de douches ni de toilettes. Aujourd’hui, des installations minimales ont été ajoutées pour rendre la vie à bord un peu plus fonctionnelle, bien que toujours rudimentaire.

Il a aussi fallu adapter certaines parties pour assurer la durabilité du navire. Par exemple, les extrémités de la coque, autrefois conçues pour résister aux boulets de canon, ont été allégées pour améliorer la ventilation et le drainage, tout en restant en chêne. Ces ajustements permettent également de lutter contre des problèmes récurrents, comme le développement de champignons dans les zones très denses.

Enfin, sur le plan technique, des systèmes de navigation modernes ont été intégrés, cachés pour préserver l’authenticité visuelle, mais indispensables pour obtenir les autorisations des affaires maritimes.


Quels ont été les plus grands défis techniques rencontrés lors de la construction de la réplique de L’Hermione ?

Le principal défi était déjà lié aux dimensions de L’Hermione. Avec ses 1 200 tonnes de bois, elle dépasse de loin les standards. À titre de comparaison, les trois bateaux de la Marine nationale – Le Mutin, L’Étoile et La Belle-Poule – totalisent à eux trois seulement 580 tonnes. Cela illustre l’ampleur du projet.

Aujourd’hui, nous disposons d’un navire aux dimensions impressionnantes, mais sans technologie suffisamment avancée pour répondre à ses spécificités. Les outils fonctionnels pour d’autres navires ne sont souvent pas adaptés à L’Hermione en raison de la taille de ses pièces. Cela nous pousse à innover, notamment en développant des techniques comme le contrôle non destructif¹ pour le bois, un domaine encore en gestation.

Un autre défi majeur est lié à la nature même du bois, une matière vivante qui évolue constamment. Comme pour un organisme, il faut gérer les cycles d’humidité et d’assèchement, ce qui demande une surveillance continue, y compris pendant la restauration. Nous travaillons actuellement sur des solutions préventives, comme l’installation de capteurs d’humidité, des radars et des programmes de recherche pour mieux anticiper les problèmes à venir.

Autour de ce projet gravite une multitude d’experts : spécialistes du bois, du bois immergé, des champignons, des traitements chimiques et bien d’autres. Chaque étape nécessite une réflexion collective pour trouver les meilleures solutions, même si elles restent perfectibles.


Après des années de navigation, L’Hermione est de retour aux chantiers depuis 2021. Quelles en sont les raisons ?

En 2021, alors que nous envisagions un 5ᵉ voyage pour faire rayonner la France, une inspection de routine de la coque a révélé la présence de champignons, découverts presque par hasard lors d’une cale sèche. Bien que la surface du bois paraissait saine, des anomalies ont été détectées quelques millimètres en dessous. Face à ce constat, il a été décidé de prioriser la sécurité des 80 membres d’équipage et de procéder immédiatement à une restauration approfondie.

Les travaux ont révélé que le problème provenait de l’intérieur du navire, dans les zones les plus denses en bois. Cela a nécessité de retirer une quantité importante de bois pour accéder aux parties affectées. En parallèle, il a fallu mobiliser la communauté associative pour retirer les 18 000 pièces de fonte servant de lest au fond du bateau, afin de permettre un diagnostic complet et une restauration minutieuse.

un bénévoleLes travaux de restauration de la carlingue (pièce de bois structurelle de la coque, accessible depuis l’intérieur du navire) ont été réalisés par les charpentiers de l’entreprise Asselin en 2023.

L’Hermione a déjà effectué plusieurs traversées transatlantiques. Que faut-il mettre en place pour remplir les conditions d’un tel voyage ?

Il est indispensable de finaliser les travaux de restauration pour remettre L’Hermione à l’eau. Actuellement, il reste environ 4,5 millions d’euros à collecter pour achever la restauration. Cela inclut des tests rigoureux après sa longue période à sec, comparables à une première mise à l’eau, pour garantir sa navigabilité et sa sécurité.

En parallèle, il faudra reformer un équipage. L’Hermione a déjà formé plus de 550 jeunes matelots et dispose d’une communauté active de volontaires impatients de participer au prochain voyage. Ces jeunes continuent à s’entraîner lors des sessions de préparation, appelées « prépas Gabier » (du terme du XVIIIᵉ siècle signifiant matelot), et à entretenir le navire dans l’espoir d’être sélectionnés. L’équipage sera composé de 80 personnes : 18 professionnels et des amateurs formés pour cette aventure.

Chaque voyage de L’Hermione est emblématique et vise à servir des objectifs majeurs, comme renforcer le lien franco-américain ou participer à de grands événements internationaux. Des rendez-vous comme les J.O de 2028 pourraient, par exemple, être envisagés. L’objectif est de choisir un itinéraire qui permettra de maximiser l’impact du navire en valorisant le rayonnement de la France à l’international.


Quel est le processus de sélection des artisans et des gabiers² pour ce projet ?

Pour la partie charpente, nous avons une équipe sur place. Des marins encadrent les bénévoles qui viennent aider sur le chantier, mais nous avons aussi une structure bien définie : un directeur technique et une charpentière salariée qui supervise des apprentis. Si quelqu’un a des compétences en charpente ou en menuiserie, je dirais qu’il ne faut pas hésiter à envoyer un CV (rires) !

Côté navigation, une fois qu’un voyage est annoncé, nous lançons le processus de sélection de l’équipage. Pour les 18 marins professionnels, les postes vont du commandant aux officiers, en passant par des rôles spécifiques comme celui de messman3. Ces professionnels sont recrutés sur des contrats à durée déterminée, car ils naviguent souvent sur plusieurs bateaux.

Ensuite, pour les amateurs, c’est un processus différent. Ceux qui souhaitent embarquer comme matelots doivent soumettre une lettre de motivation adressée au commandant. Les critères de sélection sont simples : la motivation et l’aptitude physique. Il n’y a aucune exigence de compétence maritime préalable. On peut apprendre sur place, et c’est aussi l’esprit de L’Hermione : rendre cette expérience accessible à tous, sans élitisme. Une fois sélectionnés, les matelots suivent une formation d’une semaine à quai.

Il faut noter que L’Hermione est un navire très inclusif. Environ 40 à 45 % de l’équipage, ainsi que des équipes de maintenance, sont des femmes. C’est remarquable, surtout dans un milieu industriel où la féminisation des métiers reste un défi. Nous en sommes très fiers.


Comment mesurez-vous l’impact touristique de l’Hermione sur votre région et son rayonnement à l’international ?

Pour l’impact touristique, il faut déjà parler de la notoriété de L’Hermione. En 2018, elle était connue par environ deux Français sur trois. Cela représente entre 200 000 et 250 000 visiteurs par an dans l’arsenal de Rochefort. À l’international, c’est surtout aux États-Unis que le projet résonne le plus. L’histoire de La Fayette est profondément ancrée dans leur culture, et le voyage américain de 2015 a suscité un engouement incroyable. Quand L’Hermione arrive à New York, Boston ou Yorktown, elle ravive toute une partie de l’histoire américaine. Là-bas, les écoles ont même construit des maquettes, organisé des événements pour accueillir le navire.

¹ Procédé permettant de donner des informations sur l’intégrité d’un matériau, ici le bois, sans l’altérer ou le détruire.

² Matelots spécialisés dans les manoeuvres de voiles.

3 Un messman est la personne qui fait le lien entre cuisine et batterie mais également le responsable des lessives et d’une partie de l’intendance du bord.

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Visuels : © Maxime Franusiak, Guillaume Tauran, Andres Suarez – Association Hermione-La Fayette