Pilotes Motos PMR : ils remontent en selle par passion
Publié le 23/07/2024
Aider des motards paraplégiques ou amputés à continuer de vivre leur passion, c’est le défi que s’est fixé Planète Handisport. L’association propose des journées d’initiation sur des motos spécifiquement adaptées, principalement sur le circuit d’Alès, dans le Gard. Planète Handisport accompagne également plusieurs pilotes PMR (Personnes à Mobilité Réduite) expérimentés comme Matthieu Lefebvre, vice-champion de France 600 cm3 handisport et Benoît Thibal, multiple champion de France 1 000 cm3 handisport. Rencontre avec Laurent Tronnet, responsable de la section Mécanique à Planète Handisport.
Benoît Thibal et Matthieu Lefebvre, pilotes handisport.
Pouvez-vous nous présenter l’association Planète Handisport ?
Planète Handisport a vu le jour en 2008 et compte aujourd’hui plus de 400 membres, toutes sections confondues. L’association était initialement dédiée à la pratique du ski et du ski nautique. Puis une section mécanique a vu le jour en août 2018 à l’initiative d’Emmanuel Senin, le fondateur de l’association, vingt-cinq ans tout juste après son accident de moto. La section Mécanique de Planète Handisport accueille des motards qui ont eu un accident de la vie et qui souhaitent reprendre la moto sur circuit.
Vous êtes vous-même bénévole dans l’association. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours et votre passion pour les sports mécaniques ?
J’ai eu un accident de moto en 1996 qui m’a rendu paraplégique. Après cela, j’ai travaillé dans un magasin de motos et de quads où je m’occupais de l’entretien et de la réparation des quads dédiés à la compétition, de la partie électrique en particulier. C’est là que j’ai rencontré Emmanuel Senin, le fondateur de l'association. J’ai refait ma première initiation à moto en mai 2021, longtemps après mon accident. C’était un grand moment car cela faisait 27 ans que je n’avais pas roulé en deux-roues !
Quel est votre rôle au sein de l’association Planète Handisport ?
Je suis responsable de la section Mécanique qui propose des activités moto et karting adaptées aux personnes à mobilité réduite. Comme je suis passionné de mécanique, c’est moi qui adapte les motos mises à disposition pour l’association par Yamaha France. Je m’occupe également de l’organisation, de la mécanique ainsi que du suivi d’un pilote handi, aujourd’hui engagé dans le championnat de France moto PMR Cup.
Je fais également partie de la commission Handi-moto à la FFM (Fédération Française de Moto) avec Stéphane Paulus, responsable de l’association Handi Free Riders, où je m’occupe de la règlementation ainsi qu'à la FFSA (Fédération Française de Sport Automobile) pour le Handikart.
Benoit Thibal, multiple champion de France 1000 cm3 handisport.
Quel est le profil des pratiquants qui viennent rouler avec votre association ?
Ce sont essentiellement des paraplégiques, des plexus brachiaux et des amputés des membres inférieurs. 99 % des personnes qui effectuent une initiation moto avec notre association sont des motards accidentés. Grâce à l’association, ils peuvent remonter sur une moto, souvent bien longtemps après leur accident. Les roulages s’effectuent uniquement sur circuits, pour des raisons de sécurité, de manière très encadrée. Le fait d’avoir déjà été motard est un prérequis. En effet, une mauvaise gestion de l’embrayage au démarrage pour un pilote PMR est immédiatement sanctionnée par une chute, car nous ne pouvons pas rééquilibrer la machine avec les jambes.
Remonter sur une moto après un accident, c’est un sacré défi. Comment les pilotes parviennent-ils à surmonter leurs appréhensions ?
En effet, l’émotion est forte lorsqu’on remonte sur une moto après tant d’années… La première session est très stressante, on n’a aucune sensation, aucun plaisir. On se pose de nombreuses questions : « Est-ce que je vais réussir à piloter, à gérer à nouveau l’embrayage, à tenir l’équilibre sur la moto… ? ». C’est pourquoi avant le premier roulage, nous prenons du temps pour échanger avec les participants, pour être certains qu’ils seront vraiment prêts le jour du roulage.
Je demande toujours aux participants de venir accompagnés d’un proche car les émotions, ça se partage avec des copains, des amis, la famille. Lorsque les pilotes arrivent pour une première session de roulage, les visages sont très tendus, les traits tirés… Mais passés les premiers tours de roue, ce n’est que du bonheur ! Le soir, en repartant, ils ont la banane, ça fait vraiment plaisir à voir : c’est magique !
Comment se déroulent les journées de roulage ?
Nous effectuons environ une trentaine de roulages par an au Pôle Mécanique d’Alès-Cévennes, limitées à deux ou trois personnes par jour, à partir du mois de mars. Il y a 3 sessions de roulages de 15 minutes le matin et 3 autres l’après-midi. Le pilote arrive le matin et nous lui fournissons tout l’équipement dont il a besoin, combinaison, bottes, gants, casque, dorsale et moto. Tous les équipements nous sont fournis par notre partenaire Moto-Axxe qui priorise la sécurité et le confort de tous les pratiquants.
Deux ou trois bénévoles sont présents pour prendre en charge chaque pilote. Les pilotes sont convoqués au même briefing que les valides et ont un briefing spécifique supplémentaire. Sur la piste, à part un gilet jaune, rien ne nous distingue des autres pilotes.
Matthieu Lefebvre, vice-champion de France 600 cm3 handisport, tout sourire, avant le départ.
Quels sont les dispositifs utilisés sur les motos adaptées pour les PMR ?
Les pilotes peuvent être guidés depuis les stands grâce aux intercoms intégrés dans les casques. Pour le calage des pieds, nous utilisons soit des repose-pieds de vélo, de type VTT, soit des aimants sous les bottes. Les cuisses sont attachées ensemble par une sangle, passée au-dessus de la selle, pour éviter qu’elles ne s’écartent en roulant. Cette sangle est doublée, par sécurité. La principale particularité, pour les PMR, est qu’ils doivent diriger la moto avec le haut du corps.
À droite, la poignée est d’origine, avec un accélérateur et un frein avant. Le frein arrière normalement au pied est déporté sur la poignée gauche du guidon, au pouce ou à l’index selon le matériel. Du même côté, nous installons les boutons du shifter qui commandent le changement des vitesses au guidon. Ce système de passage de vitesses est identique à celui installé sur certaines grosses routières, nous l’avons simplement adapté à nos besoins.
C’est moi qui réalise tous ces aménagements spécifiques. Je laisse tout de même le sélecteur de vitesse et le frein au pied sur les motos pour que les personnes amputées d’un membre inférieur puissent se servir de leur jambe encore fonctionnelle.
Vous avez aussi mis au point une moto à trois roues spécialement adaptée aux PMR. Pouvez-vous nous présenter ce prototype ?
Nous travaillons sur ce projet de moto adaptée et homologuée sur route pour les PMR depuis l’an dernier, en collaboration avec Ludovic Lazareth(1). C’est une première mondiale. La moto d’origine est une Yamaha Niken, équipée de 2 roues à l’avant et d’une roue à l’arrière. Cette moto sera également destinée aux nouveaux pilotes en situation de handicap : le but est de leur apprendre à gérer l’embrayage, afin qu’ils puissent par la suite découvrir la conduite sur piste.
Cette moto à 3 roues prend de l’angle comme une moto : la fourche avant s’incline aussi, et pas seulement le châssis. Mais grâce à un système pendulaire unique, la moto reste aussi stable à l’arrêt, sans avoir à poser le pied au sol. Et le système de stabilisation se libère aujourd’hui, par impulsions, lorsque la moto est en mouvement.
Nous travaillons pour améliorer encore cette stabilité. Nous œuvrons sur le développement d’un mécanisme qui bloque automatiquement chaque fourche hydraulique, lorsque la moto est quasiment à l’arrêt. Yamaha France, partenaire de l’association, nous accompagne sur ce projet. Le budget du développement représente un gros investissement, en partie financé grâce au mécénat. Si ce système est agréé, cela demandera de repasser le permis moto pour obtenir une spécification comparable à celle qui existe déjà pour le permis voiture pour véhicules aménagés, avec commandes au volant.
Quelles motos utilisez-vous et sur quels circuits roulez-vous ?
La première moto de l’association était un 450 YZF, fournie par notre partenaire Bonneton deux-roues à Aubenas, que j’avais aménagé en Supermotard. Nous avons aujourd’hui une R7, deux MT09, une MT10, un Niken et le YZF 450 Supermotard, fournis par Yamaha France. La majorité des initiations se font au pôle mécanique d’Alès-Cévennes (30) qui nous met un box à disposition et avec l’école de pilotage MGB Moto. Nous roulons aussi lors des Moto-Axxe Days sur le circuit de Bresse (71), de Magny-Cours (58) ou du Mans (72), avec BMC Moto.
Cette année, nous nous rendrons également sur les circuits de Dijon (21) et Le Vigeant (86). Le but est de pouvoir toucher un maximum de personnes, dans toute la France. Sur le circuit d’Alès, qui est un circuit court, on monte à 180 km/h, mais on peut monter à 240 km/h à Magny-Cours, par exemple.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les activités de compétition de Planète Handisport ?
Nous avons deux pilotes inscrits aux championnats de France PMR : Benoît Thibal en catégorie 1000 cm3 ainsi que, depuis l’an dernier, Matthieu Lefebvre en catégorie 600 cm3. Et certains pilotes handi de notre association participent à certaines compétitions avec des athlètes valides, dernièrement à Magny-Cours. Il y a deux ans, nous avons fait l’ouverture des 24 Heures de Spa-Francorchamps et nous avons aussi roulé à Misano et Mugello en Italie.
L’histoire de Matthieu Lefebvre est intéressante. Il y a deux ans, ses proches lui ont offert une initiation moto pour ses 40 ans. Il a pris goût à la vitesse et a fait des essais sur la R7 de l’association avant d’acheter sa propre moto. Après un an de roulage en entraînement sur le circuit d’Alès, il est devenu vice-champion de France moto Handisport l’an dernier, pour sa première participation en 600 cm3 !
Matthieu Lefebvre, avant le départ, lorsque la concentration et la passion se rencontrent.
La section moto fonctionne grâce à l’aide de nombreux bénévoles ?
Oui, nous pouvons compter sur l’appui de 46 bénévoles qui nous apportent une aide précieuse pour encadrer les pilotes handi. Les roulages ont lieu sur circuit, aux côtés de motards valides, ce qui permet aussi de mieux faire connaître nos activités. Car que ce soit pour nos activités de karting, de ski ou de moto, nous sommes avant tout des sportifs. Nos roulages se déroulent en semaine et les bénévoles qui nous accompagnent, dont la présence est indispensable, doivent souvent prendre sur leurs congés pour être présents.
Quelles sont les perspectives de développement pour Planète Handisport ?
Nous espérons emmener davantage de pilotes rouler, notamment sur des circuits à l’étranger, en Espagne, en Belgique ou en Italie. Nous cherchons aussi de nouvelles perspectives de financement pour développer la section mécanique. Les déplacements sur circuit pour accompagner les pilotes, les hébergements pour les circuits lointains ou la restauration représentent un budget conséquent.
Quel message souhaitez-vous faire passer à ceux qui hésitent encore à vous rejoindre ?
Qu’ils n’hésitent pas à venir rouler avec nous ! Après avoir survécu à un accident grave, nous avons la chance d’avoir une deuxième vie. Il faut la vivre à fond !
Plus d’info sur https://www.phs.team
(1) Ludovic Lazareth est connu pour avoir créé une moto volante, un quad futuriste et une voiture amphibie.
Tout savoir sur le Championnat de France Handisport moto
La Fédération Française de Motocyclisme, en partenariat avec Stéphane Paulus (président de l’association Handi-Free Riders), a mis en place en France depuis 2016 une compétition de vitesse pour personnes à mobilité réduite. L’objectif est de « permettre à des pilotes en situation de handicap (amputés de membres inférieurs ou supérieurs, hémiplégiques ou paraplégiques) de retrouver, pour les plus aguerris, ou de découvrir, pour d’autres, le plaisir de la compétition sur les circuits de vitesse ».
Une vingtaine de pilotes s’affrontent dans le Championnat de France Handisport moto / PMR Cup (pour « Pilotes à Mobilité Réduite Cup ») dans deux catégories : 600cc et 1000cc.
Épreuves du Championnat de France 2024 :
- 17-20 avril : Le Mans (ouverture des 24 Heures Motos) ;
- 12-14 juillet : Pau ;
- 2-4 août : Magny-Cours ;
- 30 août-1er septembre : Mugello (Italie).
Visuels : © PHS-Mécanique, AG Pictures - Anthony Guglielmet